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17/05/2011

A propos d’un entretien de Laure Adler avec François Rouan

L’émission Hors-Champ, France Culture, le 24 mars 2011 : Laure Adler reçoit       le peintre François Rouan.

 

 

 

 

  Lors de cette émission Laure Adler s’est adressée à son invité : « Vous avez donné, François Rouan, à Jacques Lacan le concept du nœud borroméen ».

 

  Rappelons que le noeud borroméen a été transmis à Lacan le 6 février 1972, par quelqu’un qui le tenait du séminaire du mathématicien Georges Théodule Guilbaud. Lacan, dès le lendemain, le présenta au tableau noir dans son séminaire et en appliqua la structure à une chaîne signifiante ayant valeur de formule, qu’il intitula ‘’la lettre d’a-mur’’. La même année il fit pour la première fois la rencontre de François Rouan à la villa Médicis. Plus tard, à la demande de l’artiste il préfaça l’exposition François Rouan du musée Cantini de Marseille (1978) : un court texte qui fut reproduit tel quel, manuscrit et accompagné de dessins de la main du psychanalyste. Cette ‘’Préface à une exposition des œuvres de François Rouan’’ fut reproduite, texte typographié, dans la revue de la Cause freudienne n° 59.

   Il est probable que Laure Adler ait interprété ce texte comme une déduction de Lacan, qui aurait donné lieu au nœud borroméen à partir du tressage de Rouan dont il a figuré le schéma d’entrée de jeu. Alors que ce texte est présenté par le Docteur Lacan comme une prescription ; ce qui ne manque pas d’en accentuer le caractère énigmatique : « François Rouan peint sur bandes. Si j’osais, je lui conseillerais de modifier ça et de peindre sur tresses. La tresse à trois vaut d’être relevée ».

   Il présente un schéma du lacis orthogonal pratiqué par le peintre, pour mettre en évidence et insister sur l’opposition  des croisements lévogyres/dextrogyres. Cette répartition régulière en miroir (lévo /dextro) ne manque pas de nous évoquer l’ouverture du diptyque, du montage transversal de Hubert Damisch (C.f, note de ce blog, du 24. 12. 2010), ici en synchronie, déployé en une réduplication infinie. En y attirant notre attention, Lacan y pointe la différence entre, d’une part le plan euclidien du tressage de l’artiste, qui participe de l’espace comme tel sphérique, et d’autre part la surface de représentation  du tableau, avatar de l’écran du fantasme (Lacan, le Séminaire, XIII, leçon du 25. 05. 66), qui relève du plan projectif arguésien (note du 17. 02. 2009) . Ce dernier étant immatériel, nous pourrions le concevoir à partir du glissement du lévo sur le dextro, pour obtenir le point hors ligne, constitutif de l’étoffe du plan projectif. Nous renvoyons au point bleu (note du 9.09. 2008).

 

  Ainsi ce qui se présente comme une prescription est en fait l’indexation du point de réel qui disjoint les deux surfaces ; elle confronte l’artiste en son acte (peindre) à la temporalité en laquelle doit s’effectuer l’enjambement de l’une à l’autre. En quoi  nécessite-t-elle la tresse ? C’est ce qui va orienter la monstration de Lacan.

  Il figure la tresse ; il n’est plus question de l’opposition lévo/dextro, mais du fait qu’après six mouvements de nattage, la tresse mise en cercle devient le noeud borroméen dont la propriété est que la coupure de l’un quelconque des ronds libère les deux autres.

  Il remarque que mis à plat le nœud borroméen présente plus de croisements que lorsqu’il est mis en perspective, ne conservant que les points de coinçage de la chaîne.

  Il passe alors à la chaîne à quatre ronds, et, nous présente la fonction du quatrième rond qui noue les trois autres. Il représente chacune des trois positions de ce quatrième rond en prise sur chacun des trois. C’est alors qu’il ajoute une quatrième position liée à l’inversion des dessus-dessous. 

  Ainsi, au terme de ces transformations successives qui ne sont certes pas de l’ordre du bricolage, suggéré au peintre, d’un montage de la tresse sur un châssis,  Lacan boucle-t-il sa monstration sur son observation de départ : l’opposition synchronique dextro/lévo, ici temporalisée d’un avant et d’un après par cette inversion des dessus- dessous. Ce qui équivaut au passage du plan euclidien à l’infini de la torsion du plan projectif arguésien auquel donne lieu l’acte pictural.

 

  Remarquons que si, au regard des deux autres ronds il n’a pas mentionné cette dernière position (inversion des dessus-dessous), c’est parce qu’il aura privilégié celle qui concerne la nomination du réel (le Séminaire XXII, leçon du 13 mai 75), soit ce point problématique de l’entre deux surfaces, sphérique et projective.

  La vanité élidée des Ambassadeurs s’y profile (note du 11. 08. 09). Pour être l’acte, le geste du peintre doit en passer par la traversée de l’angoisse.

 

  D’autre part, Lacan aura insisté sur le fait que du nombre des points de croisements de la mise à plat, se déduit celui des points de coinçage rendus visibles par la mise en perspective. Cela importe, parce qu’ils sont les représentants de l’inertie de la chaîne qui peut être prolongée à l’infini dans la répétition de l’un. La rupture d’un seul des cercles libère tous les autres.

  Lors de leçons du Séminaire XX, Lacan situe son approche théorique du signifiant à partir du point de rencontre de la langue et du corps, soit de l’un, au niveau de la jouissance de lallation, de lalangue  en deçà de la représentation du sujet par un signifiant pour un autre. Il prolonge la métaphore de la thermodynamique freudienne concernant le principe d’homéostasie, en considérant la parole comme une énergie qui ne serait pas encore prise dans une énergétique, parce qu’échappant à la mesure :  « Ce n’est pas étonnant qu’on n’ait pas su comment serrer, coincer, faire couiner la jouissance en se servant de ce qui paraît le mieux supporter l’inertie du langage, à savoir l’idée de la chaîne, des bouts de ficelle autrement dit, des bouts de ficelle qui font des ronds et qui, on ne sait trop comment, se prennent les uns avec les autres » [leçon du 8 mai 73] .

  Ainsi la chaîne borroméenne est en son champ comparée à la formule de l’inertie dont il nous dit que sous chacune de ses lettres quelque soit le nombre d’uns qu’on y mette, des lois sont mises en fonction : loi de groupe, addition, multiplication, etc. Au niveau littéral (la formule) il situe ‘’les conditions de la jouissance ’’, au niveau des nombres ‘’les résidus de la jouissance ‘’. Ainsi retrouve-t-on cette problématisation du Séminaire XVII, avec la métaphore de la perte entropique, dans le passage du travail comme tel empirique, la pratique, à l’épuration formelle d’une logique autrement dit l’extraction des conditions de la pratique, le maniement d’une écriture. La perte de jouissance ouvrant à la répétition du trait qui la commémore, dans la quête du plus-de-jouir.

   Le nœud est pour Lacan ‘’un fait logique’’. Soulignons qu’il ne se limite pas au nœud borroméen. Par exemple le nœud à deux ronds donne par son enroulement la structure du fantasme. Ainsi, c’est comme structure de coinçage que le nœud, fait logique, est le tenant- lieu de la formule littérale. Mais, de même il est l’objet d’une pratique dans le réel : répétition de l’un, en acte, qui doit se tenir comme manifestation d’une loi qui excède un désir singulier. Ce point de convergence des conditions de la jouissance et des résidus, a lieu dans l’exercice d’un savoir qui n’est pas encore acquis mais formé à l’usage. Ce point d’accès au réel  se retrouve dans l’acte pictural [note du 12.07. 07].

  Rétrospectivement nous dirions que Worringer a résolu l’opposition du support, l’un du coinçage de la chaîne à partir de la tresse prescrite par Lacan, et le ‘’peindre sur ‘’dont Hubert Damisch s’est dit ‘’chiffonné’’ dans sa préface du catalogue de l’exposition François Rouan du Centre Georges Pompidou (‘’La peinture est un vrai trois’’, 1983). En effet l’esthéticien allemand, dans son expérience de griffonnage [ Formprobleme der Gotic, 1927], introduit de fait le coinçage par l’inscription du geste d’un aller et retour autour d’un point qui commémore l’éclipse du sujet dans l’acte, soit l’effet Worringer [notes 20.10.2006, 24.12.2010].. Nous avons naguère revisité cette expérience [Introduction à la nodalité dans l’acte pictural-Le retour à Worringer, 2005].

 

 

24/12/2010

De Damisch à During- L'écho du sinthome

De Damisch à During- L’écho du sinthome

 

 

A propos de « You can see now »- Montage transversal, dans CINE FIL de Hubert Damisch, et, Topologie de la hantise :VERTIGO, dans Faux raccords- la coexistence des images de Elie During.

 

 

 

  Hubert Damisch nous décrit le fonctionnement du champ/contrechamp dans un film de Fritz Lang, La femme au portrait. Entre l’espace d’une rue et d’un magasin en lequel est exposé un portrait de femme qui captive un chaland, la caméra étant placée à l’intérieur, le reflet du tableau se projette sur la vitrine derrière laquelle se tient le contemplateur. Le plan suivant, l’objectif au dehors, le personnage voit se réfléchir sur la vitre, à côté du portrait, le reflet du modèle, « son double supposé réel » se tenant debout près de lui sur le trottoir, une femme avec laquelle il poursuivra une aventure.

  A propos de l’effet de ce dispositif spatio-temporel, Damisch en vient à formuler une question sur le fait de désirer un être en image : « Et qu’a-t-on à retenir, sur ce point, de l’expérience de la peinture et celle du cinéma ? En quoi diffèrent elles ? ».

  Ce questionnement sur la fonction de l’objet imaginaire du désir est ainsi redoublé en celui sur la différence entre le pictural et le cinématographique. Et, à partir de là il reprend la description de ce dispositif, qu’il nomme « montage transversal », dans la dernière séquence des Lumières de la ville de Charlie Chaplin.

   En poursuivant son enquête sur cette différence entre les deux arts, il prend en compte le fait que la représentation picturale (le portrait dans la séquence de  Fritz Lang) ne se rencontre pas dans la séquence de Chaplin. Autrement dit, le système, le fonctionnement du montage transversal, se trouve épuré de l’inclusion d’une référence externe. S’il y a une comparaison à établir avec le pictural, ce ne sera qu’au seul niveau de la structure. C’est ce que Damisch dénote comme le « procédé au sens formaliste» de Chaplin.

  En conséquence, Charlot retrouve derrière la vitrine d’une fleuriste sa petite marchande de fleurs, guérie de sa cécité : « la succession des plans en champ et contrechamp correspondant à l’échange des regards ». Damisch souligne que nulle trace ne demeure de la vitre qui sépare les deux personnages, sinon la conscience que peut en avoir le spectateur. « Avec pour effet paradoxal que cette suite serrée de plans paraît n’en faire qu’un. La suture entre ce qui se présente comme deux faces d’une même et unique image est assurée par cette interface invisible ». C’est proprement cela le montage transversal : « par simple contact avers contre avers, plan contre plan (comme on dirait d’un contreplaqué ou de deux plaques de verre contrecollées) ». Damisch y voit l’équivalent d’un diptyque. En effet les deux volets d’un diptyque se referment face contre face.

  Alors qu’il évoque la suture entre les deux faces d’une même image, Damisch ne fait pas référence à l’unilatère de la bande de moebius. Pourtant, de notre point de vue, le dispositif de Chaplin serait à mettre en rapport avec  la torsion effectuée par la touche dans l’acte pictural [Cf., note du 29.05.08].

  Il est par contre possible d’effectuer une telle mise en rapport dans l’abord topologique de l’analyse de Vertigo de Hitchcock par Elie During.

  On retrouve dans Vertigo, à l’échelle du film en son entier, les ingrédients de la séquence de La femme au portait de Fritz Lang : la relation amoureuse du héros (Scottie) avec ‘’l’image’’  d’une femme (Madeleine), le double (Madeleine-Judy), le sentiment d’inquiétante étrangeté qui en est corrélatif, et, le portrait peint d’une femme (Carlotta Valdes). Mais, chez d’Hitchcock c’est  le double qui a la fonction de torsion de l’unilatère qu’a la vitrine dans les séquences analysées par Hubert Damisch. Ainsi le film a-t-il une puissance supérieure au jeu formel du champ/contrechamp d’une seule séquence, d’où l’insistance en son déroulement d’une ponctuation problématique que Elie During appelle : le motif.

   Pour appréhender le motif Elie During préconise de se livrer à  ‘’une attention distraite’’,  ‘’quelque peu oblique ‘’, ‘’ orthogonale au plan de l’intrigue ’’. Elle porte sur ‘’un parcours étayé sur la topologie des coupes et des raccords’’.  ‘’Une idée passe… se pose sur un objet, un geste un personnage, avant de reprendre sa course’’ : c’est pour Elie During ‘’la face sensible d’un espace-temps qui ne se livre qu’entre les plans, dans un rapport défectif au visible’’ ; il le qualifie d’espace-temps de la hantise.

 

  Nous dirions que ce rapport défectif au visible c’est en effet le regard en tant qu’objet pulsionnel élidé au sein de la vision et qui en est néanmoins le suppôt [Lacan, Le Séminaire, L.XI, leçons du 19.02 et 11.03.1964]. Les coupes et les raccords du montage sont ordonnés par une syntaxe qui constitue le plan de l’intrigue. Ce qui équivaut à la chaîne signifiante d’un discours relancé par la perte, incomplétude et ouverture du sens, à chaque bouclage de la signification. C’est en ce point de bouclage que peut intervenir le ’’motif ‘’, point de bifurcation, d’indiscernable entre les deux avatars de l’objet pulsionnel, l’objet de désir et l’objet d’angoisse. « Une idée passe », c’est alors en ce point l’effet de sens énigmatique qui insiste comme moment d’une action qui se déroulerait sur une autre scène.

  Rappelons que l’objet de désir se donne dans la représentation comme objet commun ; il s’offre comme image en la relation spéculaire qui habite l’écran cinématographique. Qu’en une bifurcation, à la  place de cet objet surgisse la présence de celui non spécularisable de la pulsion, alors est éprouvée l’inquiétante étrangeté en laquelle l’image spéculaire fait place à celle du double [L. X, leçon du 9. 01.1963]. 

 

  Ainsi Elie During conçoit-il son spectateur, accrochant le motif d’une ‘’attention distraite’’, dans une position subjective comparable à celle de l’analyste en son écoute et celle de l’artiste en son acte  [note du 11. 08. 09]. Du reste, il a par ailleurs évoqué la production de motifs dans l’automatisme d’un dessin fait distraitement lors d’un entretien téléphonique, « Tout motif toute chaîne de motifs est irrémédiablement entraînée, emportée par une ligne folle, une ligne gothique ou septentrionale, pour parler comme Worringer ». Nous rappelons l’importance que nous reconnaissons à l’esthéticien allemand dans le dénudement de la structure de l’acte pictural [note du 20. 10. 06].

 Lorsque  Elie During écrit que l’image du double est réduite à «la coalescence d’une image actuelle et de son image virtuelle à l’instar du présent coexistant avec son propre souvenir », il met en série des frayages théoriques qui accomplissent une monstration topologique : l’image- cristal de Deleuze qui renvoie au sommet du cône temporel de Bergson, dont nous remarquerons qu’il suffit de lui apporter l’entrecroisement, l’auto-traversée donnant lieu à l’unilatère pour obtenir la surface du cross-cap [L. X, leçon du 9.01.1963, à laquelle E. During se réfère]. Surface unilatère dont les extrémités de la ligne de recoupement relèvent du point paradoxal articulant les deux espaces, unilatère/bilatère. Nous y repérons un avatar de l’ombilic que Jeanne Lafont identifie à la fois à celui du rêve (terme freudien) et de courbes mathématiques [J. Lafont, « Ombilic du rêve comme catastrophe »- Colloque Angoisse et Désir- 15/09/06, en ligne sur Internet].

  Ce point, qui contient la structure même de la torsion, est l’opérateur de la conjonction-disjonction  entre l’actuel (présent) et le virtuel (passé) chez Bergson, mais aussi bien entre notre espace à trois dimensions et celui à quatre dimensions, l’inframince duchampien [note du 09.09.08], auquel Elie During consacre  la seconde partie du second chapitre de Faux raccords. 

  Enfin, lorsqu’il recadre le concept d’Idée, nous pouvons considérer qu’il ajoute un chapitre à l’essai de Panofsky, [Idea - contribution à l’histoire du concept de l’ancienne théorie de l’art]. En effet, malgré qu’à partir de Platon il y eût des variantes et des renversements de ce concept au cours de l’histoire, le sujet transcendantal a perduré, alors que l’analyse d’Elie During se fonde de fait sur le sujet divisé lacanien.

  Cette position éclaire sa critique de l’analyse de Vertigo faite par Rhomer : « Il faut avouer que dans son analyse, c’est l’Idée qui commande d’un bout à l’autre l’anatomie des formes ». Aussi Elie During s’interroge-t-il : «Est-il possible sans trahir l’intuition de Rhomer, de tenter de ressaisir plus spécialement le mouvement de différentiation par lequel les formes donnent une visibilité ‘’ au processus abstrait ‘’ qui est le vrai sujet du film ? »

  Ce processus abstrait est corrélatif d’un « schème générateur en lui-même infigurable mais capable d’orienter le développement de tout un groupe de formes apparentées, quoi que dissemblables ».

  Nous identifierons ce schème générateur à la structure que nous avons abordée plus haut comme la condition de l’irruption du double. Nous pouvons la réduire à l’opposition de l’intrinsèque et de l’extrinsèque de la bande de moebius  qui ne peut se retourner dans la guise d’un gant, à ne pas changer d’orientation bien qu’exhibée devant le miroir elle paraisse ce qu’elle n’est pas, spécularisable C’est cette même structure qui habite l’acte pictural ; elle est cause de l’effet Worringer : l’inscription de l’acte fait retour au sujet de la représentation sur le mode de l’image du double ; il ne s’y reconnaît pas, « …il nous semble qu’une volonté étrangère, impérieuse nous contraigne » [Worringer, Formprobleme der Gotic].

  Ainsi ce double mis en scène par Hitchcock, Madeleine-Judy ‘’qui n’est qu’une torsion sur soi même’’, est la réfraction dans l’imaginaire d’un bout de réel ; celui de l’expérience en laquelle  est  mis à l’épreuve, dans l’acte, un sujet parcourant le trajet du plan projectif entre deux points sujets [L.XIII, leçon du 11.05.1966]. Celui à l’infini actuel (second point-sujet) en lequel il est identifiable à l’objet de la pulsion, et puis, celui de la représentation (point-sujet), de la réflexivité spéculaire en défaut comme l’exemplifie Worringer, qui suit l’inscription de l’acte : la touche. Celle-ci comme avatar de la structure, intrinsèque/extrinsèque, est révélée dans le paradigme du point bleu de l’autoportrait de Chardin [note du 29. 05. 08].

 

   « Revoyons Judy habillée en Madeleine, dans la chambre de l’hôtel Empire, après qu’elle a enfin accepté de ramasser ses cheveux en chignon : la voilà qui s’avance un peu gauchement, sans assurance, vers Scottie qui l’attend près de la fenêtre. Dans cette scène qui est comme le sommet du film, c’est Madeleine qui revient, il n’y a pas de doute. Si cette apparition tient autant de l’hologramme que de la reconstitution historique, elle parvient néanmoins à éclipser un moment Judy. On est au plus près du point d’identité de Judy et de Madeine. Et pourtant, l’être de Judy insiste sous cette réplique presque parfaite : tout dans son allure la trahit ; tout montre qu’elle ne coïncide pas exactement avec ce qu’elle incarne. C’est comme un bougé imperceptible, qui la décolle d’elle-même et la maintient à distance de l’image qu’elle cherche à égaler ».

  ‘’Ce bougé imperceptible’’ nous invite à considérer cette séquence comme une allégorie de ce dont le point bleu est l’effet. Autrement dit, il s’y réactive la théorie du « moment le plus fécond » de Lessing comme enveloppement de la temporalité propre à l’acte pictural, car il n’y pas chez le cinéaste l’instant de voir l’inscription dans l’après-coup de l’acte [note du 17. 02. 09]. C’est ainsi que dans son Petit manuel d’inesthétique, Alain Badiou différencie la peinture du cinéma  comme entre le voir et l’avoir vu.

  En effet, alors que la peinture, en acte, a un temps de retard sur l’instant du paroxysme chez Lessing (l’accès à l’Idée chez Platon, au Disegno interno chez les maniéristes, au sinthome chez Lacan), le cinéma en a deux parce que la contrainte chronométrique surmonte la temporalité de l’acte, d’où la nécessité du détour de la coupe et du montage. Et, dans l’image même le grain émulsionné ne relève pas de la phénoménalité de ce qu’on appela à l’Age classique le touché, d’où sa fixation à l’espace commun, spéculaire, géométral : la mise en scène.

  Alain Badiou remarque que le cinéma est l’organisation des mouvements impossibles d’un art à un autre. Ainsi formule-t-il la notion de citation allusive de la part du cinéma concernant les autres arts. Certes le flou auratique de l’apparition de Madeleine-Judy dans l’embrasure d’une porte renvoie à l’iconographie religieuse du Corps glorieux. Néanmoins, nous nous portons à un autre niveau que celui, conscient, de la citation. Nous considérons, à partir  de cette séquence ayant valeur de paradigme, rapportée par Elie During comme le sommet du film, qu’il s’agit d’un effet de la structure auquel nous avons appliqué le terme d’allégorie. Terme lui-même encore assez impropre dans la mesure où Hitchcock, en son savoir-faire, fait ce qu’il ne sait pas. Ainsi dirions nous plutôt : écho du sinthome [note du 08.05.10].    

08/05/2010

A propos d’un entretien de Paul Ardenne avec Alain Vestein.

L’émission Du jour au lendemain, France Culture, le 15 février 2010.

 

  Dans l’émission Du jour au lendemain du 15 février 2010, Alain Vestein s’est entretenu avec Paul Ardenne à propos de l’édition de son dernier livre  L’art, le présent.

  Cet auteur dit éprouver devant l’expansion de l’art contemporain « une considérable satisfaction vitaliste ». Pour lui, l’art ne prolifère « même plus d’une manière rhizomique », parce que dans la théorie deleuzienne « il y  a un effet de circulation, un effet de réseau, or aujourd’hui ce n’est même plus le cas ; on voit des formes d’art, ou de choses qui se revendiquent comme étant de l’art et qu’on ne peut relier finalement  à rien … » Il le corrèle au fait que « il y a un régime qui est mis en crise par le champ de la culture dans son entier, celui de l’autorité, celui de la loi », de là « l’émergence d’œuvres de plus en plus nouvelles, étonnantes, caractérisées par un phénomène d’hybridation,  de métissage, par la rencontre de données de plus en plus improbables ».

   C’est ainsi que Paul Ardenne nous annonce l’avènement de l’Age démocratique de l’art  qui « requiert que l’individu puisse affirmer une sorte de république du moi, le concernant, qui puisse en somme  s’affirmer comme une idiosyncrasie généralisée, c'est-à-dire que chacun peut  revendiquer d’être celui qui se donne sa propre loi esthétique […] et l’œuvre d’art devient très précisément  un travail sur soi », que Paul Ardenne  compare à ce qu’est, pense-t-il, la cure psychanalytique. Ainsi la production de chacun donnerait lieu à une esthétique qui  serait « d’une certaine manière trop personnalisée pour pouvoir être universalisée ».

  Ainsi, « on commence à penser l’art à partir des années quatre-vingt-dix comme étant définitivement une énigme, mais non pas tant une énigme parce que la création artistique est une énigme, la création en tant qu’acte qui engage une personne […], non pas ce mystère là, mais un autre mystère, celui de l’indéfinition de ce qui serait l’art d’aujourd’hui » ; ‘’C’est n’importe quoi’’ en serait  la formulation populaire, d’où la nécessité d’un « travail pédagogique d’explication ».

 

  Ainsi, ce qui est pour certains le malaise de l’art contemporain, pour Ardenne satisfaction, s’inscrit dans le cadre d’une société en laquelle il y a un ébranlement des semblants, des signifiants maîtres qui agencent le lien social. La conviction vitaliste qui soutient son enthousiasme, ce qu’il appelle entre autre un cancer de vie, fait écho aux conclusions de l’Essai sur l’imagination créatrice (1900) de Théodule Ribot : établir les fondements de l’invention sur la manifestation motrice de la nécessité biologique. Et au-delà, La quarante huitième leçon du Cours de philosophie positive en laquelle Auguste Comte se propose de constituer une science sociale corrélative de la philosophie biologique. Autrement dit Paul Ardenne insère sa position dans le cadre d’une idéologie qui est en train de s’échafauder sur les neurosciences, un retour à ce que nous avons appelé naguère l’ éthique de l’arc réflexe, au principe d’un rapport au monde dont l’ordre épistémique est l’Evolution.

  Cette confiance en l’expansion naturelle qui fonctionnerait par hybridation et métissage, on eût dit naguère qu’il s’agit d’une période d’éclectisme, le conduit tout de même à s’interroger sur le rapport du singulier à l’universel quant à la production d’un individu désarrimé du lien social. Cet individu nous pourrions l’appeler l’au(r)tiste de ‘’ l’Age démocratique de l’art ’’. Paul Ardenne entrevoit de sortir de cette impasse en supposant donc que ce qui fonctionne comme indéfinissable, bien que proposé socialement à la nomination ‘’art ’’, puisse être le produit d’un travail qui se spécifie de sa référence à la psychanalyse. Il sort ainsi de la rêverie d’une histoire naturelle de l’art pour entrevoir une problématique qui évacuerait la simple proclamation performative (Cf. note du 06.02.2008 de notre blog) et du même coup ‘’la république du moi’’.  

  Il est vrai que dans l’expérience psychanalytique le sujet fait déchoir les semblants de son histoire auxquels il était assujetti. Au terme du procès analytique, il est confronté à la jouissance de son sinthome soit le fondement de ses symptômes, lieu sur lequel se sont échafaudées les formations de l’inconscient, le réseau des signifiants qui l’ont assujetti au désir de l’Autre. Ainsi, alors que l’inconscient relève du discours du maître, le sinthome est un mode de jouir singulier. Pourtant Lacan déclare réduire toute invention au sinthome (le Séminaire, L. XXIII, leçon du 13 04 1976). C’est ce qu’il nous faut déplier à partir du constat de Paul Ardenne concernant l’opinion du commun : ‘’ C’est n’importe quoi’’, suivi de la discrète ponctuation d’Alain Vestein : « Ca fait un moment qu’on entend ça ».

 

  ‘’ C’est n’importe quoi ‘’, est la réponse à l’interrogation ‘’ Qu’est-ce que ça veut dire ? ‘’. Elle exprime le rejet de l’énigme dans l’indifférence. Dans le champ du langage l’énigme est une énonciation qui fait trou dans le savoir. Reprise dans maints contextes qui lui donneront des  valeurs d’énoncé, elle  sera portée au comble du sens. De même qu’en d’autres champs, ce trou dans le savoir est le lieu du réel (la jouissance) bordé d’un assemblage comme tel formel, issu d’un acte spécifique. Ce bord trouve son paradigme dans une syntaxe non contrainte a priori par la chaîne des raisons. Ainsi en mathématique le résultat d’un calcul à l’aveugle ne trouve sa fécondité, dans un registre logique soit du sens, qu’après coup (note du 09 09 2008). Ce qui implique de distinguer le réel du vrai. Ainsi retrouvons nous l’invention soit la vérité comme structure de fiction dans son nouage au sinthome.

  En ce qui concerne notre propos, en art l’invention implique une nouvelle position subjective, un point d’extériorité par rapport au système des oeuvres qui le précède. Ce point est structurellement comparable à l’aleph zéro cantorien, limite de l’infini actuel par rapport à l’infini potentiel voué à la répétition  de l’énumérable. Ainsi Alain Badiou donne-t-il l’exemple de la musique sérielle qui « produit une vérité définitive de la séquence tonale tout entière, en même temps qu’elle la clôt » (La philosophie et l’évènement, Germina, 2010). Le sujet est donc l’effet de ce nouveau bord configuré par l’acte qui fait coupure, littoral intensif entre la forme et le sens (Cf. Lacan, Lituraterre, Autres écrits, le Seuil).

  Un tel sujet n’est certes pas réductible à l’individu, il ne relève pas de l’identification imaginaire qu’est le moi. En ce qui concerne la position subjective corrélative de ce nouveau rapport à l’art, Badiou emploie le terme de protocole d’incorporation. Il ne s’agit bien évidemment pas pour l’auditeur, le spectateur, d’un apprentissage consécutif à ’’un travail pédagogique d’explication’’. En musique l’incorporation sérielle modifie l’écoute de la tonalité ; en passer par les  Ecritures blanches de Marc Tobey modifie la contemplation de la manche d’Hélène Fourment, au Louvre.

  Incorporation est le terme employé par Lacan (L. X, leçon du 5 06 1963) pour qualifier cette identification primordiale qu’est l’écho dans le corps de la voix venant de l’Autre, soit ce qui structure la pulsion d’intervenir dans la clôture de son circuit. Le sujet est ainsi l’effet de l’incorporation de l’Autre par la voix, du même coup le corps devient l’habitant du langage par la grammaticalité, fonction littérale, de la réversion (actif/passif). Autrement dit l’incorporation a lieu dans les deux sens à la fois. Il s’agit donc de la  torsion topologique de l’unilatère qui se retrouve dans le double sens de l’expression se faire… voir, entendre, chier.  La littéralité de la réversion est donc le fondement de toute forme, à venir faire bord à la jouissance : toute invention, toute création.

    C’est donc la torsion topologique de la pulsion (note du 17 02 2009) qui est l’invariant nécessaire à la construction d’un bord, certes historisé  en tant que dispositif : le système des œuvres dont l’effet est le sujet, au-delà de l’individu.

 

  Dans la confusion du sujet avec l’instance imaginaire du moi, Paul Ardenne n’a pu problématiser la différence entre la coupure de l’acte et ce qu’il appelle hybridation. Et, c’est en ce point qu’Alain Vestein  a fait porter sa ponctuation.

 

11/08/2009

Apropos d'un article de Marie-Hélène BROUSSE

 

  « L’objet d’art à l’époque de la fin du Beau » de Marie -Hélène BROUSSE, in la revue La Cause Freudienne, N° 71.

 

 

  La thèse de l’auteur de cet article est que « longtemps enfermés dans la barrière du Beau, les objets d’art l’ont franchie, et avec elle, un certain nombre d’autres limites, changeant radicalement par là, la fonction et la modalité de l’art dans nos sociétés contemporaines »

  Elle rend compte de ce que signifie « franchir la barrière du beau » : «  I (A) [l’idéal du moi] ne gouverne plus l’objet pulsionnel par l’Art. La séparation entre l’idéal et l’objet est consommée et c’est (a) [l’objet pulsionnel] sans voile qui s’avance »

 

  Cette position nous paraît caractéristique de la connaissance actuelle de l’histoire de l’art telle qu’elle est transmise dans les écoles d’art. Entre Titien et Jérôme Bosch, cités par l’auteur, et « l’art contemporain », il ne se serait rien passé.

  Rappelons donc que dans la trajectoire qui de l’impressionnisme à l’expressionnisme, à Jackson Pollock, les artistes ont évacué l’idéal du moi dans la quête de la seule relation de l’acte à sa cause (Cf., note de ce blog, 20 10 06).

   Ainsi le titre de l’article de Marie-Hélène Brousse aurait dû être « L’objet d’art à l’époque de la fin de l’expérience ».

  En effet lorsqu’elle écrit « l’artiste [celui de l’art dit contemporain] interprète directement au moyen de l’objet pulsionnel, qui court parmi les objets communs et anime notre monde, nos corps, nos habitudes, nos styles de vie et nos modes de jouissance » et plus loin «  La visée est de faire entrer le public dans un monde ironique ou trouer la réalité quotidienne d’espaces ironiques », l’objet pulsionnel en question, celui qui circule parmi les objets communs serait cause de la division d’un sujet qui serait du côté du public.

   Nous évoquerons l’exemple donné naguère par le critique Paul Ardenne : l’exposition, dans une ville de banlieue, d’une voiture de police offerte à qui voudrait l’emprunter pour faire un tour en ville, à condition de signer un contrat, une décharge de la responsabilité de l’artiste et des organisateurs de l’exposition. L’artiste ici est en position d’agent, de fétiche noir dirait Lacan en référence à la position sadienne.

 

  Certes, la position d’agent est aussi celle de l’analyste, mais comme le rappelle Lacan dans le Séminaire XI, l’analyste dans sa relation à l’analysant, en une hypnose à l’envers incarne l’hypnotisé. Autrement dit pour lui, dans l’attention flottante, là où (a) est en recouvrement sur l’objet voix de l’analysant, disjoint de I (A) et de ses effets persuasifs, sont générées les formes sous-jacentes aux effets de sens : le littéral. C’est de ce lieu que l’analyste émet l’interprétation. Tel est le coeur de l’expérience analytique et de son acte spécifique.

  Nous soutenons que l’acte pictural (au sens générique) qui a lieu à partir de ce point appelé second point-sujet (Le Séminaire XIII) relève, certes en sa spécificité, des conditions d’une expérience semblable (Cf., note du 29. 05. 08) C’est ce qui a été évacué dans l’art dit contemporain (Cf., note du 6. 02. 08).

 

  Marie Hélène Brousse, bien qu’elle utilise l’expression « L’artiste interprète directement au moyen de l’objet pulsionnel.», n’est pas dupe de cette évacuation. Ainsi écrit-elle « L’objet d’art reste donc aujourd’hui un mode de satisfaction partiellement [nous soulignons] sans déni et sans refoulement » ou bien encore « C’est l’ironie qui donne à l’objet d’art actuel sa ‘‘psychotic touch‘‘, un petit air de psychose ».

   En effet, nous tenons de Lacan (le Séminaire X) que le pervers et le psychotique cantonnent l’objet (a) dans l’image du corps sans aucunement le situer, en défaut, dans le lieu de l’Autre. Autrement dit en  ce point  ne peut s’effectuer la torsion topologique conditionnée par l’acte corrélatif de l’expérience, si ce n’est pour le second d’obtenir cette torsion par l’élaboration d’un artifice que Lacan a déterminé comme la  simulation du « sinthome » (le Séminaire XXIII). Artifice qui trouva à être reconnu du monde de l’art, soulignons le, au temps des avant-gardes, bien avant l’institution de l’art dit contemporain.

 

 Pour éclairer son propos Marie-Hélène Brousse prend l’exemple de Damien Hirst qui a fait  insérer  les dents d’une tête de mort dans son moulage en platine incrusté de diamants. Elle nous fait remarquer qu’ici « le symbole de la vanité est la vanité même, un des biens de ce monde, à acheter. La différence entre le symbole et le référent est abolie ».

  Or il y a une vanité de Pieter Boel au musée de Lille, un grand tableau en lequel sont représentés, environnés par une architecture monumentale, des objets précieux : un grand plat ciselé d’or et d’argent, une couronne, les ornements d’un évêque, mitre ornée de pierres précieuses sur un coussin brodé de fils d’or, crosse d’or également, des instruments de lutherie finement ouvragés, statuettes et statues, coffre marqueté etc. A l’arrière plan on distingue, a demi cachée par du feuillage de laurier une tête de mort. Mais, dans un tel inventaire point de tableau. A moins que le tableau qui y manque soit le tableau lui-même ! Pieter Boel fut le collaborateur de Charles Lebrun, peintre du roi. Ses œuvres ne devaient pas  manquer de valeur marchande.

  Ainsi, la vanité de Damien Hirst eût pu être l’ouvrage d’un orfèvre de l’âge baroque.

  Marie-Hélène Brousse l’oppose à la fameuse anamorphose du tableau des Ambassadeurs de Holbein. Parce que la tête de mort se cache et dans un second temps, lorsque se produit l’effet, elle vient « capitonner la scène ». Autrement dit on y rencontrerait l’effet de signification d’une chaîne signifiante, à opposer à l’auto-perforation du vrai de l’œuvre de Hirst. Or l’anamorphose implique le mouvement du spectateur qui se rapproche du plan du tableau tout  en s’éloignant de l’axe du sujet de la représentation. Son oeil devrait-il ainsi rejoindre le second point-sujet dans le tableau. Y parviendrait-il, identifié à l’objet (a), le symbole de la tête de mort ferait place à l’insupportable.

  On peut constater que le « tour de prestidigitation » - dirons nous en reprenant l’expression de Marie-Hélène Brousse - de Damien Hirst a lieu pour nous dans une position topologiquement extrinsèque, dans  la distance d’un point de vue rhétorique : « entre symbole et référent », comme le Ceci est / n’est pas une pipe de Magritte. Alors que Holbein engage le spectateur en direction du réel, certes sur un chemin intensivement infini conduisant à une expérience angoissante en son point d’impossible. Expérience à l’épreuve de laquelle fut le peintre, dans l’acte au cœur de son geste.

  Ici le réel visé n’est pas celui de Cloaca, cité par l’auteur de l’article, celui-là concerne nos cerveaux, lorsque nos têtes seront encore assez bien faites pour servir de modèle à quelque vanité. Aussi, nous nous étonnons que Marie-Hélène Brousse puisse voir dans l’art dit contemporain « une machine de guerre contre la psychologie », fidèle suivante des neuro-sciences.

   De  même, lorsqu’elle nous décrit la vache découpée en rondelles et conservée dans le formole  de Damien Hirst, nous n’y voyons nulle abolition de la limite entre un extérieur et un intérieur. Il s’agit du dehors et du dedans d’un corps sphérique, dans l’espace sphérique en lequel nous nous déplaçons.

  Aussi lorsque Marie-Hélène Brousse énumère ce qu’elle appelle déplacement des limites, effacement, brouillage des barrières elle ne fait aucunement référence à la torsion de l’unilatère, et pour cause, il y faudrait passer par l’expérience. Le fondement de l’art contemporain en  est l’évitement même.

 

 

  Après avoir décliné en six  points ce « brouillage », elle y identifie le dernier enseignement de Lacan qui suivrait « exactement le même mouvement » : l’inconscient « imaginaire ou réel ? », la pluralisation des Noms-du-Père, … le dispositif de la passe.

 

  Nous ne voyons pas en quoi le dispositif de la passe aurait quelque chose à voir avec l’art dit contemporain, car il s’applique au réel de l’expérience.

17/02/2009

A partir d'un entretien de Hubert Damisch avec Jean Daive

 

       « Laocoon et Hubert Damisch », émission de Peinture fraîche sur France Culture, le 9 janvier 2009.

 

 

  Dans cet entretien Hubert Damisch se réfère à son essai qui fait l’objet du chapitre 12 de son livre, CINE FIL, paru au Seuil en mai 2008. Chapitre intitulé Laocoon au cinéma- Le nœud de l’affaire. Nous nous y reportons.

 

  Damisch pose le problème de ce qui dans l’art est le produit d’un travail formel dont la conceptualisation analytique ne survient qu’après coup, soit un « anachronisme foncier » qui dans l’art ferait histoire.

  Ainsi des artistes produiraient des formes « qui s’avéreraient relever d’une combinatoire universelle, sans en être aucunement avertis, et sans même le soupçonner ».

  Nous dirions, en reprenant un joke de Lacan, que l’hystoire (de l’art) est conditionnée par la division du sujet (de la science) et que l’artiste touche au réel de la structure (la vérité de l’art) sur le versant où n’est pas concernée sa personne en tant qu’auteur (Cf., note du 23. 11. 2007).

  Selon Damisch, le temps serait venu « d’inverser le scénario », c’est-à-dire, d’une part  de faire un retour sur ce qui de l’art, dans l’histoire, serait entré en résonance voire se serait interféré avec la science, d’autre part de prendre en considération ce qui pour « toute une part de l’art contemporain en appelle ouvertement […] à la topologie pour s’y réfléchir dans ce qui fait son opération ».

 

  C’est ainsi qu’il introduit ce qui serait un retour à l’intérêt porté au Laocoon, parce que sa structure topologique ex-siste au groupe antique conservé au musée du Vatican : ce « nœud de serpents » qui en fait un paradigme.

  Damisch trouve la détermination de l’élément premier de cette structure, qui préside à tout développement constructif, dans le nœud trivial de la théorie topologique des noeuds, soit le cercle dont « il suffit d’un coup de ciseau pour le dénouer ».

 Or nous reprendrons cette assertion, en soulignant le fait que le cercle équivaut à la droite infinie du plan projectif arguésien, limite, horizon d’un infini actuel. Il n’est donc pas question de coupure mais de la torsion de l’unilatère, soit l’espace qui supporte implicitement les mouvements en torsion de la caméra de Hitchcock,  révélés dans l’analyse faite par Damisch du film Fenêtre sur cour  (chapitre 13 Laocoon au cinéma-Topology incorporated). Il y exprime cette torsion par les expressions « involution du décor », « le cadrage redoublé et comme emboîté », ou bien encore «  les jeux éminemment réflexifs autant que projectifs ».

 

  Cette postulation du nœud trivial l’amène à orienter, à la suite de Eisenstein, sa prise  en considération du tableau du Laocoon du Greco: « Paradoxalement, les serpents en arc de cercle du Greco s’accordent mieux à cette définition d’un nœud, fût-il trivial, que ne le font, dans leurs replis à première vue autrement complexes, ceux du groupe antique».

  Néanmoins il reconnaît que dans l’une et l’autre version du Laocoon « les victimes luttent désespérément en extension […] pour éviter une contraction fatale de leur domaine d’action ». C’est en ce point que Damisch privilégie la version du Greco, parce que pour lui il s’agit de la fermeture du nœud trivial à laquelle résiste la victime, tel le héros de Fenêtre sur cour, entravé par son plâtre, activant sa pulsion scopique dans « un semblant d’univers clos sur lui-même ». En ce point notre postulation diffère de celle de Damisch. D’un autre abord nous repérons, dans le trait commun aux deux versions du Laocoon, ce qui est l’élément premier de la structure du nœud : le coinçage.

 

  En fait les développements de Damisch amorcent une problématisation du cinéma en tant que fonction de synthèse : « le cinéma […] fonctionne comme liant universel entre les substances d’expression et les médias les plus divers : ce qui serait une bonne définition de ce qui peut faire sa spécificité, ou son absence ». Ce trait qui unit et oppose la spécificité et l’absence est en effet un point paradoxal qui, comme tel, l’engagerait à délinéer un bout de réel.

  Ainsi se propose-t-il de montrer, en sa conclusion qui précède l’analyse de Fenêtre sur cour, comment le cinéma « en vient à développer pour son propre compte et à son usage exclusif sa propre version de la topologie des nœuds ».

  Or il nous faut remarquer que, avec la caméra, le cinéma opère la torsion de l’unilatère immergé en l’espace tridimensionnel, dans le mouvement du champ/contre-champ, donc dans la perspective du point-sujet de la représentation. Ce que Damisch appelle réversion du décor, c’est une réversion imaginaire comparable à celle du retournement spéculaire.

 

  Par contre dans l’acte pictural, la torsion a lieu au point de négativité du chiasme phénoménologique en lequel le tact interfère avec la réversion de la pulsion scopique, ainsi le second point-sujet, point de regard à l’infini actuel, est actif,  séparé du point-sujet de la vision (Cf., note du 29. 05. 2008).  C’est en ce point négativé du touché (ce terme était utilisé au XVII° pour la touche) qu’a lieu le coinçage à l’infini intensif de la constance d’échelle, tel que par exemple il se montre, en sa rigueur mathématique, avec l’attracteur borroméen de Stéphane Dugowson (en ligne sur Internet), ou bien dans l’approche de Robert Taylor concernant la peinture du Pollock (Cf., note du 12. 07. 2007), ou bien encore en ce qui vient comme une image fractale de la nuée des corps de plafonds baroques, transversalement à la trouée albertienne basculée à la verticale.

 

  A l’encontre de l’approche de Damisch, nous rendons compte du fait que la structure du Laocoon ex-siste à la représentation. Ainsi la temporalité, invoquée dans ce qu’elle a d’universel, ne relève pas d’une construction cinétique mais logique : elle réfléchit la temporalité logique de l’acte pictural.

  C’est ainsi que selon la doctrine du « moment le plus fécond » de Lessing (Laocoon, 1766), l’action représentée se situe en un temps propre à « stimuler l’imagination », parce qu’il est  frontalier de celui du « paroxysme » qui, en tant que tel, serait irreprésentable. Du côté de l’artiste, il s’agit de l’instant de voir l’inscription du geste,  dans l’après-coup de l’acte en lequel a eu lieu le fading subjectif, support de l’imaginarisation du fantasme (Cf. MANIFESTE 3, 1985, colonne des références de ce blog). Plus radical, Goethe (Sur Laocoon, 1798) focalise l’instant représenté sur la conjonction « d’un agir et d’un pâtir », soit la réversion de la pulsion freudienne, un aller-retour d’une temporalité figée. Nous retrouvons le point de négativité du chiasme dans l’acte pictural.

  Lorsque Damisch se réfère à Lessing et à Goethe, c’est pour attribuer au premier ce qu’il estime être l’un des thèmes majeurs de la modernité, celui «d’une spécificité qu’il appartiendrait à chacun [des arts] de décliner pour son propre compte et dans son ordre propre» , pour le second, « d’établir des « relations de voisinage » entre peinture et poésie après avoir écarté la doctrine de l’ « ut pictura poesis », « laquelle prétendrait voir dans la poésie une manière de peinture parlante et dans la peinture une manière de poésie muette ».

  En terme de voisinages, cette dernière tendrait vers ce qu’en mathématique on appelle topologie grossière, où le seul voisinage est l’ensemble entier des éléments. Alors que la spécificité de chacun des arts tendrait vers une topologie discrète, où chaque élément ne peut être associé qu’à lui-même.

  A partir de Goethe il s’agirait de définir une topologie fine en laquelle, pour Damisch, Greenberg invoquant un Laocoon « plus nouveau », se serait proposé «  de remonter à ce qui fait ou faisait la condition de possibilité des différents arts, tout en réitérant du même coup l’opération tout à la fois critique et fondatrice, au sens kantien, qui fut celle du Laocoon ».

  En ce lieu générique, Damisch fait intervenir le cinéma comme le voisinage  qui engloberait les arts, éléments séparés en leur spécificité.

  Nous soutenons que l’acte pictural en sa spécificité, soit le recouvrement de la torsion et du coinçage au sein de l’inscription, échappe à cet englobement, parce que le cinéma est clôturé en le seul espace géométral, dans les conditions de la chambre obscure.

  Par contre, l’artefact cinématique  prend une valeur heuristique en ayant pour effet, en la scansion d’une torsion, l’identité imaginaire d’un mobile entre deux configurations des parcours de l’attracteur étrange fondé sur l’effet Worringer (Cf., note du 20. 10. 2006). Ainsi cet artefact effectue-t-il ce qui se présente comme l’envers d’une anamorphose, en un rebroussement du sens des marques de l’acte qui relève du second point-sujet.

 

Vermeersch P., Introduction à la nodalité dans l’acte pictural- Le retour à Worringer, Autédit, Paris, 2005.

Vermeersch P., SUR BO-La limaille des Champs magnétiques, DVD, 2 mn 23, juin 2007.