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11/08/2009

Apropos d'un article de Marie-Hélène BROUSSE

 

  « L’objet d’art à l’époque de la fin du Beau » de Marie -Hélène BROUSSE, in la revue La Cause Freudienne, N° 71.

 

 

  La thèse de l’auteur de cet article est que « longtemps enfermés dans la barrière du Beau, les objets d’art l’ont franchie, et avec elle, un certain nombre d’autres limites, changeant radicalement par là, la fonction et la modalité de l’art dans nos sociétés contemporaines »

  Elle rend compte de ce que signifie « franchir la barrière du beau » : «  I (A) [l’idéal du moi] ne gouverne plus l’objet pulsionnel par l’Art. La séparation entre l’idéal et l’objet est consommée et c’est (a) [l’objet pulsionnel] sans voile qui s’avance »

 

  Cette position nous paraît caractéristique de la connaissance actuelle de l’histoire de l’art telle qu’elle est transmise dans les écoles d’art. Entre Titien et Jérôme Bosch, cités par l’auteur, et « l’art contemporain », il ne se serait rien passé.

  Rappelons donc que dans la trajectoire qui de l’impressionnisme à l’expressionnisme, à Jackson Pollock, les artistes ont évacué l’idéal du moi dans la quête de la seule relation de l’acte à sa cause (Cf., note de ce blog, 20 10 06).

   Ainsi le titre de l’article de Marie-Hélène Brousse aurait dû être « L’objet d’art à l’époque de la fin de l’expérience ».

  En effet lorsqu’elle écrit « l’artiste [celui de l’art dit contemporain] interprète directement au moyen de l’objet pulsionnel, qui court parmi les objets communs et anime notre monde, nos corps, nos habitudes, nos styles de vie et nos modes de jouissance » et plus loin «  La visée est de faire entrer le public dans un monde ironique ou trouer la réalité quotidienne d’espaces ironiques », l’objet pulsionnel en question, celui qui circule parmi les objets communs serait cause de la division d’un sujet qui serait du côté du public.

   Nous évoquerons l’exemple donné naguère par le critique Paul Ardenne : l’exposition, dans une ville de banlieue, d’une voiture de police offerte à qui voudrait l’emprunter pour faire un tour en ville, à condition de signer un contrat, une décharge de la responsabilité de l’artiste et des organisateurs de l’exposition. L’artiste ici est en position d’agent, de fétiche noir dirait Lacan en référence à la position sadienne.

 

  Certes, la position d’agent est aussi celle de l’analyste, mais comme le rappelle Lacan dans le Séminaire XI, l’analyste dans sa relation à l’analysant, en une hypnose à l’envers incarne l’hypnotisé. Autrement dit pour lui, dans l’attention flottante, là où (a) est en recouvrement sur l’objet voix de l’analysant, disjoint de I (A) et de ses effets persuasifs, sont générées les formes sous-jacentes aux effets de sens : le littéral. C’est de ce lieu que l’analyste émet l’interprétation. Tel est le coeur de l’expérience analytique et de son acte spécifique.

  Nous soutenons que l’acte pictural (au sens générique) qui a lieu à partir de ce point appelé second point-sujet (Le Séminaire XIII) relève, certes en sa spécificité, des conditions d’une expérience semblable (Cf., note du 29. 05. 08) C’est ce qui a été évacué dans l’art dit contemporain (Cf., note du 6. 02. 08).

 

  Marie Hélène Brousse, bien qu’elle utilise l’expression « L’artiste interprète directement au moyen de l’objet pulsionnel.», n’est pas dupe de cette évacuation. Ainsi écrit-elle « L’objet d’art reste donc aujourd’hui un mode de satisfaction partiellement [nous soulignons] sans déni et sans refoulement » ou bien encore « C’est l’ironie qui donne à l’objet d’art actuel sa ‘‘psychotic touch‘‘, un petit air de psychose ».

   En effet, nous tenons de Lacan (le Séminaire X) que le pervers et le psychotique cantonnent l’objet (a) dans l’image du corps sans aucunement le situer, en défaut, dans le lieu de l’Autre. Autrement dit en  ce point  ne peut s’effectuer la torsion topologique conditionnée par l’acte corrélatif de l’expérience, si ce n’est pour le second d’obtenir cette torsion par l’élaboration d’un artifice que Lacan a déterminé comme la  simulation du « sinthome » (le Séminaire XXIII). Artifice qui trouva à être reconnu du monde de l’art, soulignons le, au temps des avant-gardes, bien avant l’institution de l’art dit contemporain.

 

 Pour éclairer son propos Marie-Hélène Brousse prend l’exemple de Damien Hirst qui a fait  insérer  les dents d’une tête de mort dans son moulage en platine incrusté de diamants. Elle nous fait remarquer qu’ici « le symbole de la vanité est la vanité même, un des biens de ce monde, à acheter. La différence entre le symbole et le référent est abolie ».

  Or il y a une vanité de Pieter Boel au musée de Lille, un grand tableau en lequel sont représentés, environnés par une architecture monumentale, des objets précieux : un grand plat ciselé d’or et d’argent, une couronne, les ornements d’un évêque, mitre ornée de pierres précieuses sur un coussin brodé de fils d’or, crosse d’or également, des instruments de lutherie finement ouvragés, statuettes et statues, coffre marqueté etc. A l’arrière plan on distingue, a demi cachée par du feuillage de laurier une tête de mort. Mais, dans un tel inventaire point de tableau. A moins que le tableau qui y manque soit le tableau lui-même ! Pieter Boel fut le collaborateur de Charles Lebrun, peintre du roi. Ses œuvres ne devaient pas  manquer de valeur marchande.

  Ainsi, la vanité de Damien Hirst eût pu être l’ouvrage d’un orfèvre de l’âge baroque.

  Marie-Hélène Brousse l’oppose à la fameuse anamorphose du tableau des Ambassadeurs de Holbein. Parce que la tête de mort se cache et dans un second temps, lorsque se produit l’effet, elle vient « capitonner la scène ». Autrement dit on y rencontrerait l’effet de signification d’une chaîne signifiante, à opposer à l’auto-perforation du vrai de l’œuvre de Hirst. Or l’anamorphose implique le mouvement du spectateur qui se rapproche du plan du tableau tout  en s’éloignant de l’axe du sujet de la représentation. Son oeil devrait-il ainsi rejoindre le second point-sujet dans le tableau. Y parviendrait-il, identifié à l’objet (a), le symbole de la tête de mort ferait place à l’insupportable.

  On peut constater que le « tour de prestidigitation » - dirons nous en reprenant l’expression de Marie-Hélène Brousse - de Damien Hirst a lieu pour nous dans une position topologiquement extrinsèque, dans  la distance d’un point de vue rhétorique : « entre symbole et référent », comme le Ceci est / n’est pas une pipe de Magritte. Alors que Holbein engage le spectateur en direction du réel, certes sur un chemin intensivement infini conduisant à une expérience angoissante en son point d’impossible. Expérience à l’épreuve de laquelle fut le peintre, dans l’acte au cœur de son geste.

  Ici le réel visé n’est pas celui de Cloaca, cité par l’auteur de l’article, celui-là concerne nos cerveaux, lorsque nos têtes seront encore assez bien faites pour servir de modèle à quelque vanité. Aussi, nous nous étonnons que Marie-Hélène Brousse puisse voir dans l’art dit contemporain « une machine de guerre contre la psychologie », fidèle suivante des neuro-sciences.

   De  même, lorsqu’elle nous décrit la vache découpée en rondelles et conservée dans le formole  de Damien Hirst, nous n’y voyons nulle abolition de la limite entre un extérieur et un intérieur. Il s’agit du dehors et du dedans d’un corps sphérique, dans l’espace sphérique en lequel nous nous déplaçons.

  Aussi lorsque Marie-Hélène Brousse énumère ce qu’elle appelle déplacement des limites, effacement, brouillage des barrières elle ne fait aucunement référence à la torsion de l’unilatère, et pour cause, il y faudrait passer par l’expérience. Le fondement de l’art contemporain en  est l’évitement même.

 

 

  Après avoir décliné en six  points ce « brouillage », elle y identifie le dernier enseignement de Lacan qui suivrait « exactement le même mouvement » : l’inconscient « imaginaire ou réel ? », la pluralisation des Noms-du-Père, … le dispositif de la passe.

 

  Nous ne voyons pas en quoi le dispositif de la passe aurait quelque chose à voir avec l’art dit contemporain, car il s’applique au réel de l’expérience.

Commentaires

Même si l'objet "a" peut se repérer par toutes sortes de représentation, en passant par tous les rais de ce qui apparemment fait "lumière" pour la psyché, il est à craindre en effet que l'art contemporain ne souligne qu'un déni supplémentaire en lieu et place d'un recouvrement névrotique de la cause de sa production.
Le passage de la sphère à l'a-sphérique est d'une autre étoffe, où le vide ne s'apprécie pas à l'aune apparemment terrifiante de la mort du corps:(là encore la "vanité" est de retour) mais s'authentifie d'une "disparition" du sujet pour un "surgissement" de la trouvaille. un "ah oui, mais c'est bien sûr" plutôt qu'un effet de "sidération"...Ce en quoi, l'art actuel n'est pas forcément "une bonne nouvelle" mais risquerait parfois un "repliement" du sujet en direction d'une consistance toute moïque, excuse fabriquée à se maintenir dans un rapport tout imaginaire au "monde"...

DG.

Écrit par : dominique guévenoux | 29/09/2009

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