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29/06/2015

A propos du caractère szu, l’Unique Trait de Pinceau de Shitao.

 

                                                

                                        

 

  Lacan dessine au tableau noir le caractère szu   [Leçon du 17 février 1971, Le Séminaire    L.XVIII, p. 63]

  « Ceci est un petit caractère chinois. Je regrette beaucoup que la craie ne me permette pas de mettre l’accent que permet le pinceau ».

   Puis, après en avoir donné le sens, qu’il dit ambigu, de retors et de personnel au sens de privé (on y reconnaît l’essence du sujet d’être trompeur), il le commente comme s’il s’agissait d’un graphe.

 Soulignons que d’une part il signale l’importance de l’inscription du geste (attaque et finale) qui fait défaut à l’utilisation de la craie, d’autre part il y apporte un commentaire comme s’il s’agissait d’un graphe qui comme tel doit exclure la fonction calligraphique. Il s’agit donc d’un mixte constitué de deux pôles, deux fonctions en tension.

  Nous soutenons que ce commentaire porte sur la fonction calligraphique elle-même. Dans la tradition chinoise au fondement de l’acte pictural, elle est d’un autre ordre que celui de la virtuosité. Dans notre modernité elle serait à rapprocher de ce qui nous est révélé dans l’expérience de griffonnage de Worringer [Vermeersch P. Introduction à la nodalité dans l’acte pictural- Le retour à Worringer].

  Elle est élidée dans le caractère imprimé, si ce n’est l’élargissement du trait qui témoigne de l’orientation du tracé de l’attaque à la finale.

  A l’extrémité du premier trait, à direction verticale de bas en haut, Lacan situe en la finale du geste dans sa partie supérieure, ce qu’il appelle « les effets de langage » (1). Puis à son départ, l’attaque, il situe « ce dont ils [les effets de langage] prennent leur principe » (2). En sa finale le deuxième trait croise le premier sur son attaque. C’est dit-il « le fait de l’écrit ». Du troisième trait Lacan ne dit rien.

  En tant que le troisième en sa direction fait retour au premier, on peut supposer qu’il indiquerait la répercussion du fait del’écrit sur les effets de langage, conformément à ce qu’il nous apprend : il n’y pas de métalangage parce que ce qui se donne comme langage objet est le fait de l’écriture se répercutant sur la parole [LXVIII, p. 83].

 Dans l’évocation d’une mise à plat ce troisième trait viendrait refermer un coinçage borroméen. Il s’agirait d’une intuition de Lacan qui précéderait l’invention du nœud borroméen  [Cf., Ferdinand Scherrer, Lacan, la calligraphie chinoise et la naissance du nœud boroméen, Milan, 17 octobre 2013, en ligne].

  Néanmoins le silence de Lacan sur ce troisième trait est à retenir; nous y reviendrons.

 

 L’Unique Trait de Pinceau :

  Quant au geste scriptural du trait, Lacan nous dit «Vous mettrez longtemps à trouver de quelle nature ça s’attaque et de quel suspens ça s’arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable, c’est sans espoir pour un occidenté » [L. XVIII, p., 121].

  Il s’agit de l’esthétique du trait tel qu’il est exemplifié par l’Unique Trait de Pinceau du traité de Shitao [Shitao, Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amère, traduction et commentaire, P. Ryckmans, édit. Hermann].

  Ce trait se fonde sur le fait que « le singulier de la main écrase l’universel » [L. XVIII, p. 120]. Autrement dit le scripteur est mis en son acte à l’épreuve de la pure différence du trait unaire [Lacan, leçon du 6 décembre 1961], tandis que l’Un enveloppe le trait de son universalité lorsqu’il fait fonction dans la langue chinoise de caractère yi (un) comme tel imprimable.

  Alors que le calligraphe partage avec ses pairs le fait d’être chacun différent de tout autre. Ce qui fait valoir l’ex-sistence de la pure différence du sujet de l’acte comme tel singulier,  au delà de la qualité du trait pourtant différent à se répéter de la même main.

 Tentons donc de serrer de plus près la structure du trait unaire appliqué à l’acte d’inscription de l’Unique Trait de Pinceau. Tenir compte de cet écrasement de l’universel nous engage à un dépliement démonstratif en une oscillation entre l’intrinsèque de la mise à l’épreuve de l’acte (position du scripteur) et l’extrinsèque de la formulation (position du sachant).

 L’instant de l’attaque du pinceau sur le support est celui de l’incursion du chiasme phénoménologique touchant/ touché  recouvert par la pulsion scopique en son aller-retour (actif/passif), autour de son objet soit le regard internalisé dans le temps de l’éclipse subjective dans l’acte. Ainsi l’attaque inscrit un point d’intensivité qui trouve la limite de sa vection à l’infini actuel, lieu du second point-sujet [Lacan, leçon du 11 mai 1964] qui est le sujet de l’acte identifiable à l’objet regard.

    Là où se situent ‘’les effets de langage’’ nous identifions la levée de l’extension spatiale  du point d’attaque sur le support, qui s’achève du mesurable par le décollement du contact, soit la soustraction du chiasme et l’élision du regard. C’est la restauration de l’extrinsèque, du point-sujet de la vision aux coordonnées  de l’espace d’immersion. Mais dans le même temps se produit l’effet de présence du retrait de l’objet regard (second point-sujet) dans le temps de l’attaque où il aura été. C’est le retour de l’effet sur le principe.

     Le trajet du trait entre l’attaque et la finale n’est du côté du scripteur, intrinsèquement, en son éclipse subjective, qu’un écart temporel réductible à l’instant de l’attaque soit la présentation du chiasme incluant l’objet regard ; autrement dit l’extension spatiale est réduite à une échelle intensive. A ce temps succède sa syncope, le décollement du support, et son retour, la présence de son absence redoublée par sa répétition en le deuxième trait. Cette itération  compactifie d’un point trou [J-M Vappereau, la D.I., en ligne] la faille ainsi oblitérée du chiasme touchant touché. Ce point trou referme le circuit en double boucle  du huit intérieur [L. IX, leçon du 11 avril 1962],  la suture d’un point-sujet (le second) à l’autre, soit le bord du plan projectif arguèsien. Cette compactification c’est « le fait de l’écrit ».

   Ainsi retrouvons nous la torsion de la touche, qui projette le dispositif du tableau des Ménines de Vélasquez sur le point bleu du dernier autoportrait de Chardin [note du 09.09.2008].

 Maintenant que nous avons déterminé le fonctionnement du parcours subjectif en double boucle de l’Unique Trait de Pinceau, revenons sur ce troisième trait qui fait l’objet d’un suspens de la part de Lacan  dans le commentaire du graphe dont tient lieu le caractère szu.

  Dans la logique de son  commentaire de départ le troisième trait devrait marquer le retour du fait de l’écrit sur les effets de langage. Autrement dit il devrait répercuter comme fait de l’écrit l’inscription du second trait qui compactifie  le circuit pulsionnel ; elle en serait la formule. Ainsi ce retour pourrait, à première vue, être notre commentaire même.

  Néanmoins si nous retenons l’hypothèse du nœud borroméen, c’est l’effectuation du troisième trait, par lequel il s’agirait d’obtenir le triple coinçage qui élèverait le sujet scopique, celui de l’expérience du trait dans l’acte, à la généralisation du sujet par le support du nœud borroméen.

   Mais, l’effectuation du troisième trait par lequel il s’agirait d’obtenir le triple coinçage rencontre une  impasse à cause de la nécessité de l’alternance des dessus-dessous du nouage borroméen.  Dans le geste d’inscription ce trait ne peut que surmonter la finale du premier, à moins d’emprunter la discontinuité du trait en un dessus-dessous qui relèverait d’une autre écriture, celle du code de la mise à plat renvoyant à la consistance non plus du trait mais de la corde. Nous pouvons identifier ici un avatar du fait que ‘’l’articulation de la logique ne peut se définir elle-même ’’comme Lacan le rappelle [L. XVIII, p. 135] en référence à l’échec du Formulaire de Peano [Robert Blanché, La logique et son histoire, p. 323-324]].

   L’ouverture de la configuration triangulaire du caractère szu est le stigmate de cet impossible, elle s’égale au silence de Lacan dans le suspens de son commentaire.

  Bien que le parcours subjectif en double boucle dans l’acte d’inscription de l’Unique Trait de Pinceau soit identifiable à la structure d’enveloppe du dispositif du tableau des Ménines, il nous faut en expliciter  la différence.

   .En ce qui concerne Vélasquez et Chardin, l’un étend la torsion de la touche aux limites du support, la toile retournée dans le tableau même. L’autre ramène la touche à ses propres limites, la tache de bleu dans son autoportrait. Tous deux opèrent dans les limites de la fonction imaginaire de la spécularité.

  Par contre Shitao fait valoir  la consistance de l’Unique Trait, effet du tact soit du chiasme touchant touché, un imaginaire non spéculaire « La forme la plus dépourvue de sens de ce qui pourtant s’imagine  … » [L. XXIII, p. 65], que nous mettons en série avec l’effet Worringer dont nous avons montré à partir de la dialectique des échelles l’accès au plan complexe.

  Ainsi le dispositif d’encadrement spéculaire relevant comme tel de l’espace géométral, finitiste, enveloppe de son imaginaire la diagonale infinitiste qui se révèle à travers la consistance de l’Unique Trait de Pinceau, de même qu’en le point d’arrêt au faîte de l’aller et retour du geste graphique de Worringer.

 Dans le lexique le caractère szu est une clé qui entre dans la composition d’autres caractères, il a la fonction d’un radical. A partir de son sens initial, le fil de soie issu du repliement d’un ver en un cocon, il développe un faisceau de sens qui trouve son ancrage dans la consistance même du fil [Kyril Ryjik, L’idiot chinois, pp. 411-414, édit. Payot].

 Ainsi le caractère szu fait sens de la consistance de son écriture même. 

 

   

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