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17/05/2011

A propos d’un entretien de Laure Adler avec François Rouan

L’émission Hors-Champ, France Culture, le 24 mars 2011 : Laure Adler reçoit       le peintre François Rouan.

 

 

 

 

  Lors de cette émission Laure Adler s’est adressée à son invité : « Vous avez donné, François Rouan, à Jacques Lacan le concept du nœud borroméen ».

 

  Rappelons que le noeud borroméen a été transmis à Lacan le 6 février 1972, par quelqu’un qui le tenait du séminaire du mathématicien Georges Théodule Guilbaud. Lacan, dès le lendemain, le présenta au tableau noir dans son séminaire et en appliqua la structure à une chaîne signifiante ayant valeur de formule, qu’il intitula ‘’la lettre d’a-mur’’. La même année il fit pour la première fois la rencontre de François Rouan à la villa Médicis. Plus tard, à la demande de l’artiste il préfaça l’exposition François Rouan du musée Cantini de Marseille (1978) : un court texte qui fut reproduit tel quel, manuscrit et accompagné de dessins de la main du psychanalyste. Cette ‘’Préface à une exposition des œuvres de François Rouan’’ fut reproduite, texte typographié, dans la revue de la Cause freudienne n° 59.

   Il est probable que Laure Adler ait interprété ce texte comme une déduction de Lacan, qui aurait donné lieu au nœud borroméen à partir du tressage de Rouan dont il a figuré le schéma d’entrée de jeu. Alors que ce texte est présenté par le Docteur Lacan comme une prescription ; ce qui ne manque pas d’en accentuer le caractère énigmatique : « François Rouan peint sur bandes. Si j’osais, je lui conseillerais de modifier ça et de peindre sur tresses. La tresse à trois vaut d’être relevée ».

   Il présente un schéma du lacis orthogonal pratiqué par le peintre, pour mettre en évidence et insister sur l’opposition  des croisements lévogyres/dextrogyres. Cette répartition régulière en miroir (lévo /dextro) ne manque pas de nous évoquer l’ouverture du diptyque, du montage transversal de Hubert Damisch (C.f, note de ce blog, du 24. 12. 2010), ici en synchronie, déployé en une réduplication infinie. En y attirant notre attention, Lacan y pointe la différence entre, d’une part le plan euclidien du tressage de l’artiste, qui participe de l’espace comme tel sphérique, et d’autre part la surface de représentation  du tableau, avatar de l’écran du fantasme (Lacan, le Séminaire, XIII, leçon du 25. 05. 66), qui relève du plan projectif arguésien (note du 17. 02. 2009) . Ce dernier étant immatériel, nous pourrions le concevoir à partir du glissement du lévo sur le dextro, pour obtenir le point hors ligne, constitutif de l’étoffe du plan projectif. Nous renvoyons au point bleu (note du 9.09. 2008).

 

  Ainsi ce qui se présente comme une prescription est en fait l’indexation du point de réel qui disjoint les deux surfaces ; elle confronte l’artiste en son acte (peindre) à la temporalité en laquelle doit s’effectuer l’enjambement de l’une à l’autre. En quoi  nécessite-t-elle la tresse ? C’est ce qui va orienter la monstration de Lacan.

  Il figure la tresse ; il n’est plus question de l’opposition lévo/dextro, mais du fait qu’après six mouvements de nattage, la tresse mise en cercle devient le noeud borroméen dont la propriété est que la coupure de l’un quelconque des ronds libère les deux autres.

  Il remarque que mis à plat le nœud borroméen présente plus de croisements que lorsqu’il est mis en perspective, ne conservant que les points de coinçage de la chaîne.

  Il passe alors à la chaîne à quatre ronds, et, nous présente la fonction du quatrième rond qui noue les trois autres. Il représente chacune des trois positions de ce quatrième rond en prise sur chacun des trois. C’est alors qu’il ajoute une quatrième position liée à l’inversion des dessus-dessous. 

  Ainsi, au terme de ces transformations successives qui ne sont certes pas de l’ordre du bricolage, suggéré au peintre, d’un montage de la tresse sur un châssis,  Lacan boucle-t-il sa monstration sur son observation de départ : l’opposition synchronique dextro/lévo, ici temporalisée d’un avant et d’un après par cette inversion des dessus- dessous. Ce qui équivaut au passage du plan euclidien à l’infini de la torsion du plan projectif arguésien auquel donne lieu l’acte pictural.

 

  Remarquons que si, au regard des deux autres ronds il n’a pas mentionné cette dernière position (inversion des dessus-dessous), c’est parce qu’il aura privilégié celle qui concerne la nomination du réel (le Séminaire XXII, leçon du 13 mai 75), soit ce point problématique de l’entre deux surfaces, sphérique et projective.

  La vanité élidée des Ambassadeurs s’y profile (note du 11. 08. 09). Pour être l’acte, le geste du peintre doit en passer par la traversée de l’angoisse.

 

  D’autre part, Lacan aura insisté sur le fait que du nombre des points de croisements de la mise à plat, se déduit celui des points de coinçage rendus visibles par la mise en perspective. Cela importe, parce qu’ils sont les représentants de l’inertie de la chaîne qui peut être prolongée à l’infini dans la répétition de l’un. La rupture d’un seul des cercles libère tous les autres.

  Lors de leçons du Séminaire XX, Lacan situe son approche théorique du signifiant à partir du point de rencontre de la langue et du corps, soit de l’un, au niveau de la jouissance de lallation, de lalangue  en deçà de la représentation du sujet par un signifiant pour un autre. Il prolonge la métaphore de la thermodynamique freudienne concernant le principe d’homéostasie, en considérant la parole comme une énergie qui ne serait pas encore prise dans une énergétique, parce qu’échappant à la mesure :  « Ce n’est pas étonnant qu’on n’ait pas su comment serrer, coincer, faire couiner la jouissance en se servant de ce qui paraît le mieux supporter l’inertie du langage, à savoir l’idée de la chaîne, des bouts de ficelle autrement dit, des bouts de ficelle qui font des ronds et qui, on ne sait trop comment, se prennent les uns avec les autres » [leçon du 8 mai 73] .

  Ainsi la chaîne borroméenne est en son champ comparée à la formule de l’inertie dont il nous dit que sous chacune de ses lettres quelque soit le nombre d’uns qu’on y mette, des lois sont mises en fonction : loi de groupe, addition, multiplication, etc. Au niveau littéral (la formule) il situe ‘’les conditions de la jouissance ’’, au niveau des nombres ‘’les résidus de la jouissance ‘’. Ainsi retrouve-t-on cette problématisation du Séminaire XVII, avec la métaphore de la perte entropique, dans le passage du travail comme tel empirique, la pratique, à l’épuration formelle d’une logique autrement dit l’extraction des conditions de la pratique, le maniement d’une écriture. La perte de jouissance ouvrant à la répétition du trait qui la commémore, dans la quête du plus-de-jouir.

   Le nœud est pour Lacan ‘’un fait logique’’. Soulignons qu’il ne se limite pas au nœud borroméen. Par exemple le nœud à deux ronds donne par son enroulement la structure du fantasme. Ainsi, c’est comme structure de coinçage que le nœud, fait logique, est le tenant- lieu de la formule littérale. Mais, de même il est l’objet d’une pratique dans le réel : répétition de l’un, en acte, qui doit se tenir comme manifestation d’une loi qui excède un désir singulier. Ce point de convergence des conditions de la jouissance et des résidus, a lieu dans l’exercice d’un savoir qui n’est pas encore acquis mais formé à l’usage. Ce point d’accès au réel  se retrouve dans l’acte pictural [note du 12.07. 07].

  Rétrospectivement nous dirions que Worringer a résolu l’opposition du support, l’un du coinçage de la chaîne à partir de la tresse prescrite par Lacan, et le ‘’peindre sur ‘’dont Hubert Damisch s’est dit ‘’chiffonné’’ dans sa préface du catalogue de l’exposition François Rouan du Centre Georges Pompidou (‘’La peinture est un vrai trois’’, 1983). En effet l’esthéticien allemand, dans son expérience de griffonnage [ Formprobleme der Gotic, 1927], introduit de fait le coinçage par l’inscription du geste d’un aller et retour autour d’un point qui commémore l’éclipse du sujet dans l’acte, soit l’effet Worringer [notes 20.10.2006, 24.12.2010].. Nous avons naguère revisité cette expérience [Introduction à la nodalité dans l’acte pictural-Le retour à Worringer, 2005].

 

 

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