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08/05/2010

A propos d’un entretien de Paul Ardenne avec Alain Vestein.

L’émission Du jour au lendemain, France Culture, le 15 février 2010.

 

  Dans l’émission Du jour au lendemain du 15 février 2010, Alain Vestein s’est entretenu avec Paul Ardenne à propos de l’édition de son dernier livre  L’art, le présent.

  Cet auteur dit éprouver devant l’expansion de l’art contemporain « une considérable satisfaction vitaliste ». Pour lui, l’art ne prolifère « même plus d’une manière rhizomique », parce que dans la théorie deleuzienne « il y  a un effet de circulation, un effet de réseau, or aujourd’hui ce n’est même plus le cas ; on voit des formes d’art, ou de choses qui se revendiquent comme étant de l’art et qu’on ne peut relier finalement  à rien … » Il le corrèle au fait que « il y a un régime qui est mis en crise par le champ de la culture dans son entier, celui de l’autorité, celui de la loi », de là « l’émergence d’œuvres de plus en plus nouvelles, étonnantes, caractérisées par un phénomène d’hybridation,  de métissage, par la rencontre de données de plus en plus improbables ».

   C’est ainsi que Paul Ardenne nous annonce l’avènement de l’Age démocratique de l’art  qui « requiert que l’individu puisse affirmer une sorte de république du moi, le concernant, qui puisse en somme  s’affirmer comme une idiosyncrasie généralisée, c'est-à-dire que chacun peut  revendiquer d’être celui qui se donne sa propre loi esthétique […] et l’œuvre d’art devient très précisément  un travail sur soi », que Paul Ardenne  compare à ce qu’est, pense-t-il, la cure psychanalytique. Ainsi la production de chacun donnerait lieu à une esthétique qui  serait « d’une certaine manière trop personnalisée pour pouvoir être universalisée ».

  Ainsi, « on commence à penser l’art à partir des années quatre-vingt-dix comme étant définitivement une énigme, mais non pas tant une énigme parce que la création artistique est une énigme, la création en tant qu’acte qui engage une personne […], non pas ce mystère là, mais un autre mystère, celui de l’indéfinition de ce qui serait l’art d’aujourd’hui » ; ‘’C’est n’importe quoi’’ en serait  la formulation populaire, d’où la nécessité d’un « travail pédagogique d’explication ».

 

  Ainsi, ce qui est pour certains le malaise de l’art contemporain, pour Ardenne satisfaction, s’inscrit dans le cadre d’une société en laquelle il y a un ébranlement des semblants, des signifiants maîtres qui agencent le lien social. La conviction vitaliste qui soutient son enthousiasme, ce qu’il appelle entre autre un cancer de vie, fait écho aux conclusions de l’Essai sur l’imagination créatrice (1900) de Théodule Ribot : établir les fondements de l’invention sur la manifestation motrice de la nécessité biologique. Et au-delà, La quarante huitième leçon du Cours de philosophie positive en laquelle Auguste Comte se propose de constituer une science sociale corrélative de la philosophie biologique. Autrement dit Paul Ardenne insère sa position dans le cadre d’une idéologie qui est en train de s’échafauder sur les neurosciences, un retour à ce que nous avons appelé naguère l’ éthique de l’arc réflexe, au principe d’un rapport au monde dont l’ordre épistémique est l’Evolution.

  Cette confiance en l’expansion naturelle qui fonctionnerait par hybridation et métissage, on eût dit naguère qu’il s’agit d’une période d’éclectisme, le conduit tout de même à s’interroger sur le rapport du singulier à l’universel quant à la production d’un individu désarrimé du lien social. Cet individu nous pourrions l’appeler l’au(r)tiste de ‘’ l’Age démocratique de l’art ’’. Paul Ardenne entrevoit de sortir de cette impasse en supposant donc que ce qui fonctionne comme indéfinissable, bien que proposé socialement à la nomination ‘’art ’’, puisse être le produit d’un travail qui se spécifie de sa référence à la psychanalyse. Il sort ainsi de la rêverie d’une histoire naturelle de l’art pour entrevoir une problématique qui évacuerait la simple proclamation performative (Cf. note du 06.02.2008 de notre blog) et du même coup ‘’la république du moi’’.  

  Il est vrai que dans l’expérience psychanalytique le sujet fait déchoir les semblants de son histoire auxquels il était assujetti. Au terme du procès analytique, il est confronté à la jouissance de son sinthome soit le fondement de ses symptômes, lieu sur lequel se sont échafaudées les formations de l’inconscient, le réseau des signifiants qui l’ont assujetti au désir de l’Autre. Ainsi, alors que l’inconscient relève du discours du maître, le sinthome est un mode de jouir singulier. Pourtant Lacan déclare réduire toute invention au sinthome (le Séminaire, L. XXIII, leçon du 13 04 1976). C’est ce qu’il nous faut déplier à partir du constat de Paul Ardenne concernant l’opinion du commun : ‘’ C’est n’importe quoi’’, suivi de la discrète ponctuation d’Alain Vestein : « Ca fait un moment qu’on entend ça ».

 

  ‘’ C’est n’importe quoi ‘’, est la réponse à l’interrogation ‘’ Qu’est-ce que ça veut dire ? ‘’. Elle exprime le rejet de l’énigme dans l’indifférence. Dans le champ du langage l’énigme est une énonciation qui fait trou dans le savoir. Reprise dans maints contextes qui lui donneront des  valeurs d’énoncé, elle  sera portée au comble du sens. De même qu’en d’autres champs, ce trou dans le savoir est le lieu du réel (la jouissance) bordé d’un assemblage comme tel formel, issu d’un acte spécifique. Ce bord trouve son paradigme dans une syntaxe non contrainte a priori par la chaîne des raisons. Ainsi en mathématique le résultat d’un calcul à l’aveugle ne trouve sa fécondité, dans un registre logique soit du sens, qu’après coup (note du 09 09 2008). Ce qui implique de distinguer le réel du vrai. Ainsi retrouvons nous l’invention soit la vérité comme structure de fiction dans son nouage au sinthome.

  En ce qui concerne notre propos, en art l’invention implique une nouvelle position subjective, un point d’extériorité par rapport au système des oeuvres qui le précède. Ce point est structurellement comparable à l’aleph zéro cantorien, limite de l’infini actuel par rapport à l’infini potentiel voué à la répétition  de l’énumérable. Ainsi Alain Badiou donne-t-il l’exemple de la musique sérielle qui « produit une vérité définitive de la séquence tonale tout entière, en même temps qu’elle la clôt » (La philosophie et l’évènement, Germina, 2010). Le sujet est donc l’effet de ce nouveau bord configuré par l’acte qui fait coupure, littoral intensif entre la forme et le sens (Cf. Lacan, Lituraterre, Autres écrits, le Seuil).

  Un tel sujet n’est certes pas réductible à l’individu, il ne relève pas de l’identification imaginaire qu’est le moi. En ce qui concerne la position subjective corrélative de ce nouveau rapport à l’art, Badiou emploie le terme de protocole d’incorporation. Il ne s’agit bien évidemment pas pour l’auditeur, le spectateur, d’un apprentissage consécutif à ’’un travail pédagogique d’explication’’. En musique l’incorporation sérielle modifie l’écoute de la tonalité ; en passer par les  Ecritures blanches de Marc Tobey modifie la contemplation de la manche d’Hélène Fourment, au Louvre.

  Incorporation est le terme employé par Lacan (L. X, leçon du 5 06 1963) pour qualifier cette identification primordiale qu’est l’écho dans le corps de la voix venant de l’Autre, soit ce qui structure la pulsion d’intervenir dans la clôture de son circuit. Le sujet est ainsi l’effet de l’incorporation de l’Autre par la voix, du même coup le corps devient l’habitant du langage par la grammaticalité, fonction littérale, de la réversion (actif/passif). Autrement dit l’incorporation a lieu dans les deux sens à la fois. Il s’agit donc de la  torsion topologique de l’unilatère qui se retrouve dans le double sens de l’expression se faire… voir, entendre, chier.  La littéralité de la réversion est donc le fondement de toute forme, à venir faire bord à la jouissance : toute invention, toute création.

    C’est donc la torsion topologique de la pulsion (note du 17 02 2009) qui est l’invariant nécessaire à la construction d’un bord, certes historisé  en tant que dispositif : le système des œuvres dont l’effet est le sujet, au-delà de l’individu.

 

  Dans la confusion du sujet avec l’instance imaginaire du moi, Paul Ardenne n’a pu problématiser la différence entre la coupure de l’acte et ce qu’il appelle hybridation. Et, c’est en ce point qu’Alain Vestein  a fait porter sa ponctuation.

 

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