Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/09/2008

A propos de l'article de Elie During

 

 

           A propos de l’article de Elie During, «  expérimentateurs, encore un effort ! » - art press N° 347, et, de sa conférence de l’E.N.S, le 21. 05.07.

 

  Dans le dossier « l’art comme expérimentation » du numéro 347, juillet-août 2008, d’art press, en un article intitulé « expérimentateurs encore un effort ! » Elie During distingue, parmi les artistes dont la pratique aurait « un rapport étroit aux sciences expérimentales », d’une part les « bricoleurs », d’autre part les « expérimentards ». Nous dirions, en interprétant ses  développements à propos de ces derniers, en termes barthésiens, que l’« expérimentard » joue des connotations qui renvoient à une mythologie (Cf. note du 23. 11.07 à propos de l’article de Béatrice Rochebouet).

  Quant au « bricoleur », il se  rapprocherait  de l’art brut en menant sa recherche à partir d’accidents « heureux » comme réponse à des questions qui n’auraient pas été posées, or « si l’expérimentation en science nous a appris une chose c’est qu’on n’expérimente jamais ‘‘pour voir’’ » : Elie During rappelle l’expérimentation de Galilée qui fit rouler une bille sur un plan incliné pour formaliser la chute des corps. Il oppose cette expérimentation, comme telle finalisée, à la conception de John Cage pour lequel le résultat de l’acte artistique « est essentiellement quelque chose d’inconnu ».

  Elie During en conclut « L’expérimentalisme aura peut-être été en ce sens un dernier avatar du romantisme ».

  Nous dirons qu’en effet, d’un point de vue historique, cet avatar du romantisme transmué par l’expansion du discours de la science, l’expressionnisme donna lieu à l’expérience de Worringer (Cf. note du 01. 07. 06 à propos de l’article d’Edouard Launay).

 

  Certes, le terme d’expérimentation s’applique à l’élaboration d’un dispositif propre à la physique mathématisée qui teste ses hypothèses. Cependant, n’oublions pas que la formule qui en résulte comme expression symbolique de la loi, libère la cause énigmatique (note du 23.11.07). Galilée formalise la chute des corps, mais il en reconduit la cause, l’énigme de la gravitation telle que Newton n’y « feint pas d’hypothèses ». Ce réel en reste « est essentiellement quelque chose d’inconnu », dirons-nous en reprenant la citation de John Cage.

  Néanmoins, le réel impliqué dans l’acte de l’artiste en son expérience ne relève pas du champ de la physique mais du champ freudien, soit ce qui du vivant échappe à la symbolisation : la jouissance, cause du désir, cause de la relance de la chaîne symbolique  qui la répète comme la production d’une perte qu’elle n’arrive pas à résorber, à mesure qu’elle la comptabilise.

  Ce n’est donc pas du côté de l’expérimentation stricto sensu qu’il s’agit de considérer la démarche de l’artiste, mais de l’invention des objets mathématiques à partir de la pratique à l’aveugle de l’Art combinatoire inauguré par Leibniz, dont Michel Serfati retrace l’histoire (in La révolution symbolique- La constitution de l’écriture symbolique mathématique). Ainsi, le registre des significations n’intervient que dans l’après-coup du jeu de la combinatoire littérale, soit les problèmes nouveaux qui se posent à propos de ces objets mathématiques ainsi construits.

  Alors que le physicien avec son dispositif expérimental donne l’empan d’un savoir sans sujet dans le réel dont la formule exprime la loi, la combinatoire littérale à l’aveugle du mathématicien ne trouve qu’après coup sa signifiance, elle est le lieu d’un savoir supposé dont un sujet est l’effet puisque son opération est un acte.

  Cette combinatoire qui précède l’objet construit de par la problématisation qu’elle conditionne dans un après-coup, est à mettre en série avec cette « description sans lieu » qui pour Alain Badiou est la définition même de l’art, pour le dessin l’articulation inouïe des marques engendrant un espace ouvert (Cf. note du 29.05.08 à propos de LNA, lacanian inck).

 

  Ce retour sur ce qui s’est inscrit est la condition de l’élargissement de l’expérience que Elie During appelle de ses vœux : « Mais à quoi bon expérimenter si l’expérimentation ne se traduit pas en même temps par un élargissement de l’expérience ? Et peut on même imaginer élargir l’expérience sans travailler à la fois sur des dispositifs et sur l’idéologie qui les porte et en restreint l’usage ? ». L’idéologie qui les porte et en restreint l’usage, est à rapprocher de ce que Michel Serfati repère comme le caractère inattendu des résultats de la production automatique des formules sans égard à leur signification, « à mettre au compte des résistances qu’offraient la tradition ou l’usage mathématiques parfois déjà depuis longtemps ancrés, et qui imposaient une vision figée des relations entre les concepts préexistants ». En effet,  l’opérateur de la combinatoire lui-même ou bien la communauté des mathématiciens doit sanctionner, choisir et éliminer après examen ce qui fut produit à l’aveugle.

  En bref, nous dirons que le réel impliqué dans le discours de la physique comme dans  celui en cause dans la mathématique ou dans l’art fait signe mais ne veut rien dire et, qu’au delà de l’examen critique de la configuration symbolique en laquelle il fait énigme ou paradoxe, il en appelle à la refondation.

  Ainsi Elie During interpelle-t-il le bricoleur : « quel est ton problème ? Ou si l’on préfère : sur quoi porte ton expérimentation ? ». Il en appelle donc aux artistes qui se veulent expérimentateurs, mais qui n’ont pas encore fait le retour sur les traces de leur dérive bricoleuse : «  expérimentateurs encore un effort ! ».

 

La conférence de l’E.N.S :

  La nécessité d’un retour à la problématisation du fondement de l’acte, pour opérer une avancée en art, semble vouloir à nouveau se réactiver derrière l’emprunt de ce terme : expérimentalisme. Elie During, dans son article d’art press trouve navrant de voir parfois, chez  ceux qui s’en réclament, sa réduction à « une simple posture ».

   Rappelons que cette nécessité s’est fait jour au début du siècle dernier de par l’effet de l’expansion du discours de la science dans le domaine de l’art. Elie During donne une description des formes de cet effet chez Marcel Duchamp, dans une conférence donnée dans le cadre du Séminaire de philosophie et mathématiques de l’Ecole Normale Supérieure (‘‘Poincaré chez Duchamp- La quatrième dimension, entre géométrie projective et topologie’’, 21 mai 2007- La diffusion des savoirs de l’Ecole Normale Supérieure- en ligne).

  Dans sa quête de la refondation du tableau décanté de l’imaginaire cubiste, Marcel Duchamp se réfère à la quatrième dimension à partir de la théorie de la coupure de Poincaré : la coupure comme limite en un rapport ordonné entre chacune des trois premières dimensions, permet de concevoir par analogie le rapport de la troisième à la quatrième. Elie During montre, en s’appuyant sur sa lecture des notes préparatoires au Grand Verre, que Marcel Duchamp s’émancipe de ce rapport analogique pour traiter la quatrième dimension intrinsèquement. Celui-ci propose de « s’installer en elle d’un seul coup, par une sorte de saut de l’esprit », de la ressaisir de l’intérieur. Puis, saisie de nouveau à partir de la troisième, elle ne serait plus conçue comme une limite extérieure mais comme une pellicule évanescente, infra mince,  analogue à la virtualité de l’image dans le miroir appréhendée à travers une expérience sensible.

  Nous dirons que l’approche topologique de la théorie de la coupure, référence de départ de Duchamp, malgré ses adhérences imaginaires a valeur de combinatoire. Dans un second temps, le saut de l’esprit dans l’intrinsèque de la quatrième dimension- position subjective en l’infini actuel- est la torsion topologique opérée par la fonction du plan projectif arguésien. Le troisième temps est celui du retour sur ce point d’impossible ayant valeur de paradoxe, soit la coupure de la quatrième dimension par la troisième. Elle acquiert  la valeur d’une configuration symbolique, une formule à laquelle ce retour donne sens : l’inframince duchampien, soit le tissu même de la torsion du plan projectif. La structure du point bleu de l’autoportrait de Chardin en est le paradigme (Cf. note du 29. 05. 08).

14:02 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

23/11/2007

A propos de l'article de Béatrice Rochebouët...

A propos de l’article de Béatrice de Rochebouët, " Quand l’art et la science collaborent dans un nouveau Laboratoire " - le Figaro, 26 octobre 07.

 

Il s’agit de la présentation d’un nouveau ‘’lieu expérimental’’, installé à Paris et intitulé " le Laboratoire " qui accueille des artistes et des scientifiques réunis autour d’un thème :

La journaliste formule une question : " La confrontation de deux cultures, de deux mondes, de deux antipodes peut-elle donner naissance à une nouvelle forme d’art ? ". La science et l’art sont donc ici conçus en terme de culture. Ainsi écrit-elle : " l’art pénètre tous les univers jusqu’à celui complexe et souvent inaccessible de la science. Inversement la science a besoin de l’art pour s’exprimer et se faire comprendre. "

En bref, conçue en terme de culture (Roland Barthes eût dit mythologie), c’est à travers l’art que d’un vain peuple la science pourrait être comprise.

 

Telle n’est pas notre position dans le cadre d’une esthétique d’orientation lacanienne, car il n’est pas question de culture mais du sujet de la science.

Lacan repère la position subjective de l’analysant qui, dans l’expérience psychanalytique, mis à l’épreuve de l’association libre, se trouve divisé entre l’énoncé qu’il vient de proférer et l’effet de vérité qui lui fait retour avec un temps de retard.

Lacan en conclut que le sujet d’une telle expérience n’est donc pas le sujet de l’énonciation tel qu’il est distingué du sujet de l’énoncé par le linguiste ; il l’identifie au sujet de la science, soit le sujet divisé entre savoir et vérité.

Comme le montre Alexandre Koyré, auquel Lacan se réfère, le savant ne se livre pas directement à l’induction qui le conduirait de l’observation du phénomène à la loi. Il lui faut abstraire l’objet phénoménal en termes mathématiques pour élaborer la formule, expression de la loi. Pour vérifier la loi, il doit de même construire le dispositif expérimental qui permettra la mesure ; ce dispositif étant conditionné par son échafaudage théorique préalable, la construction de l’objet abstrait. Ainsi la vérité porte sur le réel en reste, hors de la construction symbolique, soit la cause du phénomène qui reste ainsi hors la loi. En bref, le savoir est du côté de la loi, la vérité du côté de la cause.

La progression de la science repose sur la remise en chantier de cette construction théorique, à partir de l’énigme de la cause qui se présente comme un impossible. Ainsi l’action à distance dans le vide, cause du rapport de distance entre les masses planétaires, bouleversa les contemporains de Newton. C’est à partir de l’émergence de ce bout de réel énigmatique, qui fait défaut au savoir supposé dans le réel de la loi soit le rapport des distances en fonction des masses, que fut inventée la physique des champs : Euler, Faraday, Maxwell.

Le support même de la physique, le savoir mathématique ne progresse pas mécaniquement à partir de sa propre nécessité interne, mais dans l’après-coup d’une invention visant à combler le manque qui y fait trou : l’émergence d’un impossible , tel le paradoxe. C’est ce qui ressort du théorème de Gödel. Cette invention s’incorpore à ce savoir en le reconstruisant. Nous retrouvons donc cet horizon de la cause, comme lieu de production du savoir, dans chaque refondation des mathématiques.

 

L’épistémè de notre temps, identifiable à l’expansion du discours de la science qui ainsi marque son incidence sur l’évolution de l’art, a pour conséquence la mise à l’épreuve de l’artiste en sa division subjective, soit la mise en relation du sujet à la cause de son acte spécifique comme l’horizon de sa pratique.

A partir de ce fondement épistémologique, dans les notes de ce blog un éclairage est porté sur les avancées d’une histoire de l’art. C’est ainsi que l’énigme du savoir-faire d’un Pollock vient de faire l’objet d’une controverse entre des tenants de la physique mathématisée (Cf., note du 12. 07. 2007) . Rappelons que la pratique de l’artiste entre dans une généalogie qui remonte à l’expérience des Champs magnétiques, inspirée de l’association libre (Cf., note du 20. 10. 2006). La forme du problème que se posent ces savants prend la dimension d’un paradigme.

En effet leur débat porte sur le rapport du détail au tout, facteur de l’attribution d’une œuvre à son auteur. Il fait écho à la méthode de Morelli qui en son temps s’était référé à l’histoire naturelle et à l’anatomie comparée.

Dans son analyse du Moïse de Michel-Ange, la méthode morellienne fut importée par Freud dans son propre champ qui nous renvoie à la division du sujet entre savoir et vérité à partir de l’énigme de l’énonciation. Freud repère dans l’œuvre du sculpteur un détail énigmatique : " ce nœud dans la barbe ".

 

18:09 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)