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17/02/2009

A partir d'un entretien de Hubert Damisch avec Jean Daive

 

       « Laocoon et Hubert Damisch », émission de Peinture fraîche sur France Culture, le 9 janvier 2009.

 

 

  Dans cet entretien Hubert Damisch se réfère à son essai qui fait l’objet du chapitre 12 de son livre, CINE FIL, paru au Seuil en mai 2008. Chapitre intitulé Laocoon au cinéma- Le nœud de l’affaire. Nous nous y reportons.

 

  Damisch pose le problème de ce qui dans l’art est le produit d’un travail formel dont la conceptualisation analytique ne survient qu’après coup, soit un « anachronisme foncier » qui dans l’art ferait histoire.

  Ainsi des artistes produiraient des formes « qui s’avéreraient relever d’une combinatoire universelle, sans en être aucunement avertis, et sans même le soupçonner ».

  Nous dirions, en reprenant un joke de Lacan, que l’hystoire (de l’art) est conditionnée par la division du sujet (de la science) et que l’artiste touche au réel de la structure (la vérité de l’art) sur le versant où n’est pas concernée sa personne en tant qu’auteur (Cf., note du 23. 11. 2007).

  Selon Damisch, le temps serait venu « d’inverser le scénario », c’est-à-dire, d’une part  de faire un retour sur ce qui de l’art, dans l’histoire, serait entré en résonance voire se serait interféré avec la science, d’autre part de prendre en considération ce qui pour « toute une part de l’art contemporain en appelle ouvertement […] à la topologie pour s’y réfléchir dans ce qui fait son opération ».

 

  C’est ainsi qu’il introduit ce qui serait un retour à l’intérêt porté au Laocoon, parce que sa structure topologique ex-siste au groupe antique conservé au musée du Vatican : ce « nœud de serpents » qui en fait un paradigme.

  Damisch trouve la détermination de l’élément premier de cette structure, qui préside à tout développement constructif, dans le nœud trivial de la théorie topologique des noeuds, soit le cercle dont « il suffit d’un coup de ciseau pour le dénouer ».

 Or nous reprendrons cette assertion, en soulignant le fait que le cercle équivaut à la droite infinie du plan projectif arguésien, limite, horizon d’un infini actuel. Il n’est donc pas question de coupure mais de la torsion de l’unilatère, soit l’espace qui supporte implicitement les mouvements en torsion de la caméra de Hitchcock,  révélés dans l’analyse faite par Damisch du film Fenêtre sur cour  (chapitre 13 Laocoon au cinéma-Topology incorporated). Il y exprime cette torsion par les expressions « involution du décor », « le cadrage redoublé et comme emboîté », ou bien encore «  les jeux éminemment réflexifs autant que projectifs ».

 

  Cette postulation du nœud trivial l’amène à orienter, à la suite de Eisenstein, sa prise  en considération du tableau du Laocoon du Greco: « Paradoxalement, les serpents en arc de cercle du Greco s’accordent mieux à cette définition d’un nœud, fût-il trivial, que ne le font, dans leurs replis à première vue autrement complexes, ceux du groupe antique».

  Néanmoins il reconnaît que dans l’une et l’autre version du Laocoon « les victimes luttent désespérément en extension […] pour éviter une contraction fatale de leur domaine d’action ». C’est en ce point que Damisch privilégie la version du Greco, parce que pour lui il s’agit de la fermeture du nœud trivial à laquelle résiste la victime, tel le héros de Fenêtre sur cour, entravé par son plâtre, activant sa pulsion scopique dans « un semblant d’univers clos sur lui-même ». En ce point notre postulation diffère de celle de Damisch. D’un autre abord nous repérons, dans le trait commun aux deux versions du Laocoon, ce qui est l’élément premier de la structure du nœud : le coinçage.

 

  En fait les développements de Damisch amorcent une problématisation du cinéma en tant que fonction de synthèse : « le cinéma […] fonctionne comme liant universel entre les substances d’expression et les médias les plus divers : ce qui serait une bonne définition de ce qui peut faire sa spécificité, ou son absence ». Ce trait qui unit et oppose la spécificité et l’absence est en effet un point paradoxal qui, comme tel, l’engagerait à délinéer un bout de réel.

  Ainsi se propose-t-il de montrer, en sa conclusion qui précède l’analyse de Fenêtre sur cour, comment le cinéma « en vient à développer pour son propre compte et à son usage exclusif sa propre version de la topologie des nœuds ».

  Or il nous faut remarquer que, avec la caméra, le cinéma opère la torsion de l’unilatère immergé en l’espace tridimensionnel, dans le mouvement du champ/contre-champ, donc dans la perspective du point-sujet de la représentation. Ce que Damisch appelle réversion du décor, c’est une réversion imaginaire comparable à celle du retournement spéculaire.

 

  Par contre dans l’acte pictural, la torsion a lieu au point de négativité du chiasme phénoménologique en lequel le tact interfère avec la réversion de la pulsion scopique, ainsi le second point-sujet, point de regard à l’infini actuel, est actif,  séparé du point-sujet de la vision (Cf., note du 29. 05. 2008).  C’est en ce point négativé du touché (ce terme était utilisé au XVII° pour la touche) qu’a lieu le coinçage à l’infini intensif de la constance d’échelle, tel que par exemple il se montre, en sa rigueur mathématique, avec l’attracteur borroméen de Stéphane Dugowson (en ligne sur Internet), ou bien dans l’approche de Robert Taylor concernant la peinture du Pollock (Cf., note du 12. 07. 2007), ou bien encore en ce qui vient comme une image fractale de la nuée des corps de plafonds baroques, transversalement à la trouée albertienne basculée à la verticale.

 

  A l’encontre de l’approche de Damisch, nous rendons compte du fait que la structure du Laocoon ex-siste à la représentation. Ainsi la temporalité, invoquée dans ce qu’elle a d’universel, ne relève pas d’une construction cinétique mais logique : elle réfléchit la temporalité logique de l’acte pictural.

  C’est ainsi que selon la doctrine du « moment le plus fécond » de Lessing (Laocoon, 1766), l’action représentée se situe en un temps propre à « stimuler l’imagination », parce qu’il est  frontalier de celui du « paroxysme » qui, en tant que tel, serait irreprésentable. Du côté de l’artiste, il s’agit de l’instant de voir l’inscription du geste,  dans l’après-coup de l’acte en lequel a eu lieu le fading subjectif, support de l’imaginarisation du fantasme (Cf. MANIFESTE 3, 1985, colonne des références de ce blog). Plus radical, Goethe (Sur Laocoon, 1798) focalise l’instant représenté sur la conjonction « d’un agir et d’un pâtir », soit la réversion de la pulsion freudienne, un aller-retour d’une temporalité figée. Nous retrouvons le point de négativité du chiasme dans l’acte pictural.

  Lorsque Damisch se réfère à Lessing et à Goethe, c’est pour attribuer au premier ce qu’il estime être l’un des thèmes majeurs de la modernité, celui «d’une spécificité qu’il appartiendrait à chacun [des arts] de décliner pour son propre compte et dans son ordre propre» , pour le second, « d’établir des « relations de voisinage » entre peinture et poésie après avoir écarté la doctrine de l’ « ut pictura poesis », « laquelle prétendrait voir dans la poésie une manière de peinture parlante et dans la peinture une manière de poésie muette ».

  En terme de voisinages, cette dernière tendrait vers ce qu’en mathématique on appelle topologie grossière, où le seul voisinage est l’ensemble entier des éléments. Alors que la spécificité de chacun des arts tendrait vers une topologie discrète, où chaque élément ne peut être associé qu’à lui-même.

  A partir de Goethe il s’agirait de définir une topologie fine en laquelle, pour Damisch, Greenberg invoquant un Laocoon « plus nouveau », se serait proposé «  de remonter à ce qui fait ou faisait la condition de possibilité des différents arts, tout en réitérant du même coup l’opération tout à la fois critique et fondatrice, au sens kantien, qui fut celle du Laocoon ».

  En ce lieu générique, Damisch fait intervenir le cinéma comme le voisinage  qui engloberait les arts, éléments séparés en leur spécificité.

  Nous soutenons que l’acte pictural en sa spécificité, soit le recouvrement de la torsion et du coinçage au sein de l’inscription, échappe à cet englobement, parce que le cinéma est clôturé en le seul espace géométral, dans les conditions de la chambre obscure.

  Par contre, l’artefact cinématique  prend une valeur heuristique en ayant pour effet, en la scansion d’une torsion, l’identité imaginaire d’un mobile entre deux configurations des parcours de l’attracteur étrange fondé sur l’effet Worringer (Cf., note du 20. 10. 2006). Ainsi cet artefact effectue-t-il ce qui se présente comme l’envers d’une anamorphose, en un rebroussement du sens des marques de l’acte qui relève du second point-sujet.

 

Vermeersch P., Introduction à la nodalité dans l’acte pictural- Le retour à Worringer, Autédit, Paris, 2005.

Vermeersch P., SUR BO-La limaille des Champs magnétiques, DVD, 2 mn 23, juin 2007.

 

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